Svelte, son corps n'en est pour autant pas athlétique. Sa fragilité apparente est la caractéristique qui frappe ceux la rencontrant pour la première fois. Ascète par habitude d'un point de vue strictement alimentaire, elle cache sa maigreur par des robes en soie de facture exceptionnelle et le plus souvent fendues sous lesquelles l'on peut vaguement deviner la présence d'un pantacourt collant à la peau.

Ni séduisante ni repoussante, Mei Lin est cependant toujours accompagnée dans ses déplacements de quelques servants qui s'occupent de choisir pour elle les tenues qu'elle doit porter, la maquillent et la coiffent chaque jour, apportant un peu de couleur sur un visage qui, peut-être trop souvent, en manque. Et l'ambassadrice, toute fière Kaiming De Ren qu'elle soit, leur doit souvent d'apparaître présentable en public : souvent malade ou blanche comme un linge, il leur incombe la tâche de la faire paraître en meilleure bonne santé qu'elle ne l'est en réalité.

De longs cheveux noirs et des yeux en amande de la même couleur, Mei Lin fait honneur à ses origines et les affiche fièrement. De taille moyenne, elle ne dépasse pas le mètre soixante en moyenne des jeunes femmes de sa région. Riche et attachée à son domaine, il est habituel pour elle de se munir de divers apparât et bijoux portant l'emblème de sa famille.

Son visage fin et ovale, s'il n'arbore pas encore le poids des années, porte celui des responsabilités. En tant qu'unique héritière d'un empire financier et politique, celui de la famille Mei, ses yeux sont souvent soucieux, fatigués, mais avant tout l'assurance d'une personne sûre d'elle-même.

Fragile de corps, Mei Lin est dure d'esprit. Fière représentante de son peuple, elle n'est pas étrangère aux excès d'assurance, et est parfois prompte à sous-estimer ses adversaires politiques. Parfaitement calme et maîtresse de soi en public, elle est capable de se lancer dans des diatribes digne des plus bas quartiers côtiers de Naporia lorsqu'elle se retrouve seule à ronger échecs et insultes - car, avec un corps si fragile, quelle femme de l'Empire n'en recevrait pas ? Fréquemment jugée par ses pairs pour ses compétences physiques aux abonnées absentes, elle se contente simplement d'ignorer les remarques, mais ne manquera pas de se venger d'une manière ou d'une autre, le plus souvent subtilement et sans y apposer de signature. Haute de rang, elle l'est également en égo : la rabaisser, en public comme en privé, ne reste pas souvent impuni. Enfin, bien qu'elle sache se retenir lorsque la situation ne s'y prête pas, il lui arrive d'oser certaines piques bien pensées envers ceux qui la critiquent, afin de ne pas perdre la face, en politique comme en jeux de cour.

Quelque peu raciste sans oser l'admettre, elle se force inconsciemment à accepter les autres nations et à les traiter en égaux sans que ce ne soit pour autant crédible à tous les coups. Il ne lui est par ailleurs pas étranger d'éviter de se mêler de trop près aux foules étrangères - bien qu'elle n'apprécie pas particulièrement le monde tout court. De manière générale, sans détester le bruit, Mei Lin lui préfère le silence. Adepte de la méditation, elle puise en elle un réconfort qu'elle n'arrive pas à trouver chez les autres, bien trop éloignés de ses problèmes : peu sont ceux à subir la pression d'un véritable empire familial dont on est l'unique héritière, doublée du poids sur ses épaules des attentes bien trop élevées de certains hauts placés.

Plaçant ses proches et sa famille avant toutes choses, et ayant déjà sacrifié trop de ceux qui lui étaient chers, Mei Lin est prête à donner sa vie pour ceux qui lui sont chers, incluant l'Impératrice Woo Li, seule représentante de la déesse sur Anima. Victime, comme ses proches, de multiples tentatives d'assassinat s'étant intensifiées en nombre ces deux dernières années, elle est d'un naturel méfiant, parfois à l'excès.

La pluie tombait, ce matin.

Elle m'avait offert un sourire, aussi simple et honnête qu'à son habitude. Rien sur ses traits ne trahissait le moindre doute ou regret ; la discrète mais toujours joyeuse Tian Xia ne laissait paraître que son plaisir de me revoir, comme elle l'avait toujours fait. Son masque était celui du bonheur, son voile celui de la simplicité. A ses yeux, pourtant, j'étais d'avantage confidente que noble, amie que connaissance. Dans mes plus jeunes années, toutes deux faisions partie de celles que nul n'osait approcher, de peur froisser leur famille. Marginalisées, isolées, surprotégées, nous n'avions l'opportunité de cotoyer ceux de notre âge que s'ils étaient du même rang que nous l'étions.

Réunies par le destin commun aux héritières des plus hautes familles de l'Empire, le sort avait décidé que nous deviendrons amies. Erreurs passées, aspirations, déceptions ... nous partagions secrets et espoirs, regrets et chagrins. Deux livres ouverts aux histoires et chapitres emmêlés, que Qian Shi même n'aurait su refermer. Tant de vies partagées, de moments heureux. Nous avions été deux fillettes, deux enfants, deux adolescentes, deux prétendantes, deux jeunes femmes.

Deux ennemies.

Je lui rendais son sourire, à la sincérité aussi frappante que la sienne. Nous nous connaissions bien trop pour ne percevoir le mélange entre détermination et regret caché derrière le masque des responsabilités. Xia, comme d'autres dans la famille Tian, était une ressource dispensable. Cadette, elle ne pourrait accéder à des rangs supérieurs qu'en cas de disparition de ses soeurs aînées. C'était ainsi. Et c'est ce qui l'avait mené jusqu'à moi.

« Lin », fit-elle familièrement, inclinant doucement la tête, symbole entre nous tant de respect que d'amitié.

« Xia », répondis-je en l'imitant. « Je suis heureuse de te revoir. »

« J'aurais aimé que ce soit en d'autres circonstances », souffla-t-elle, le sourire aux airs de rictus.

« Je sais. »

Etrange sentiment que celui de ne pouvoir éprouver de la haine envers l'assassin qu'on vous envoie. Le choix de l'émissaire noir pouvait sembler incensé au profane en politique impériale, mais ce n'était pas notre cas. Pour toutes les deux, il était évident que Tian Ling, mère de Xia, avait soigneusement planifié sa manoeuvre : il était bien plus aisé de justifier auprès de l'impératrice et ses conseillers la querelle entre deux jeunes femmes comme motif caricatural d'un duel plutôt qu'une armée d'assassins - non qu'ils n'aient déjà essayé.

« Comment vont tes parents ? », fit-elle, sur le ton de la conversation tout en sortant ses deux sabres courts de leur fourreau.

« Bien, mais ils s'inquiètent. »

« Comme d'habitude, non ? », gloussa-t-elle en s'abaissant pour vérifier les lacets de ses bottes, quittant quelques instants mon regard. « Pourquoi, Lin ? » Lança-t-elle soudain, la voix légèrement plus rauque, presque accusatrice.

Je haussais doucement les épaules. Que dire à celle qui me connaissait mieux que moi-même, sinon la vérité ? Lui mentir serait insulter son intelligence, ou cracher sur notre passé. « Le devoir, Xia. » Celui-là même qui t'avait mené ici, sous les larmes d'Amata. Elle allait protester, n'en fit rien ; tristesse, incompréhension et acceptation se succédèrent, avant qu'elle ne se relève lentement.

« Et tu es prête à en accepter les conséquences, à commencer par moi », conclut-elle simplement. « Et je suis prête à faire de même, Mei Lin. Ma famille ne peut te laisser mener à bien ta mission, et je ne peux la décevoir. »

« Je comprends, Xia. Je ne t'en veux pas. »

Elle me sourit à nouveau. Elle comprenait, comme autrefois, les sens cachés derrière le calme, les mots restés muets. Elle était prête ; je l'étais aussi. Mon corps endolori par sa faiblesse parvint avec difficulté à retirer le sabre de son ancre. Xia savait, ce n'était pas un bon jour, mais ne me fit l'affront de le relever. Paisible, elle patienta que je sorte mon arme, détâche ma ceinture et défasse les boutons du bas de ma robe en soie, sans jamais mot dire.

« Je suis prête, Xia », fis-je enfin, une colère sourde grondant en moi, dont elle n'était pas la cible. Je me haïssais, détestais ma traîtresse intérieure, mon second moi.

« Ce n'est pas grave, Lin », fit-elle enfin, seule à savoir lire le désarroi derrière mon calme absolu. « Tu as vécu dans l'honneur. Tu es quelqu'un de bien. »

Non, Xia. Je ne suis pas quelqu'un de bien. Je ne suis que traîtrise et mensonge, telle une horreur de Qian Shi. Je n'ai rien d'honnête ; je t'ai caché tant de choses qui, en ce matin d'Amata, auraient pu te garder en vie. Déesse, Xia, pardonnez-moi.

Le teint pâle et les yeux rouges, je passais pour la seconde fois de la journée le palier de la résidence, accompagnée par les regards des gardes en faction, à la fois rassurés de retrouver la princesse disparue et confus par son regard. Sur le chemin vers l'une de mes chambres, je croisais Mère et Père, qui se turent en m'observant de leurs yeux inquisiteurs.

« La pluie tombait, ce matin », mentis-je, sous les verrières qui filtraient le soleil de ce jour.






« Vous allez vraiment l'épouser ? », s'enquit-il, un sourcil perplexe arqué à l'extrême.

« C'est ce que l'on attend de moi », répondais-je fermement. La question était revenue tellement souvent dans les discussions de ces derniers jours que j'en perdais presque mon calme naturel. Certes, l'homme était silkien. Certes, il faisait partie d'une influente famille australe. Mais n'était-ce pas justement-là tout l'intérêt de la manoeuvre ? Comment se faisait-il que si peu de gens ne voyaient cette union future que comme ce qu'elle était : une alliance de circonstance ?

Polie, j'inclinais doucement la tête à l'adresse du dignitaire de la famille Wei, avant de me retirer paisiblement dans mes appartements ... Pour mieux hurler dans un oreiller, de frustration. Si ce n'était pas la première fois qu'une Kaiming De Ren épousait un Silkien, le fait que le mariage soit organisé de bon gré entre deux familles nobles supérieures alimentait les discussions dans les cercles de la haute société, aux airs ces derniers temps de basse-cour. L'Impératrice elle-même n'avait fait de commentaire sur cette union, reprenant même ceux qui avaient tenté d'utiliser son animosité envers les Guowai pour la retourner contre les Mei. Que croyaient-ils ? Que j'étais heureuse ? Que je rêvais de passer mes nuits avec un homme aux yeux de poisson ?

On toqua à la porte. « Mère », murmurais-je pour moi-même.

Depuis toute petite déjà, Mei Zi, ma mère, avait une façon bien à elle de frapper à une porte, tapant rapidement mais avec douceur chacune de ses phalanges contre le bois, l'une après l'autre. Je prenais un instant pour reprendre contenance avant de lui ouvrir, le masque calme et froid au visage retrouvé.

« Mère », répétais-je, cette fois à l'attention de celle qui entrait sans demander une quelconque permission avant de refermer derrière elle.

« Tu es ambassadrice, Lin », débuta-t-elle, sur un ton réprobateur. « Tu ne peux pas perdre la face devant le premier officiel venu. »

Je soufflais du nez, d'acceptation. « Je sais, Mère. Je suis dé-... »

« Une Mei ne s'excuse pas », m'interrompta-t-elle brusquement en haussant le ton, pointant son doigt dans ma direction.

« ... Je suis déterminée à mener à bien ma mission, pour le bien de l'Empire », mentis-je, alors que Mère haussait les sourcils en guise d'excuses, geste auquel je m'étais depuis fort longtemps accoutumée. « Je sais ce qu'il m'en coûtera, et je suis prête à le payer. » Tian Xia m'en soit témoin, songeais-je, amère.

Elle hocha simplement la tête avant de prendre la direction de la sortie ; le sujet était clos. Elle s'arrêta devant le palier, m'offrant son dos. « La cadette des Tian, Xia, est portée disparue. Par mesure de sécurité, nous allons doubler la garde », déclara-t-elle, sibylline, avant de fermer la porte.






J'aimais cette maison.

Notre résidence de Solares n'était peut-être pas la plus grandiose, mais elle était définitivement la plus paisible. La vue presque éternelle du lac Feng Huei hanterait mes nuits prochaines, dans les froids couloirs des manoirs silkiens. L'heure était venue de partir rencontrer la famille de celui qui deviendrait mon époux, de sceller mon destin au sien. De trahir à nouveau. Seule sur mon balcon, les gardes de la famille Mei sachant se faire discrets,

Je secouais la tête pour éloigner mes songes et profiter du peu de répis qui m'était offert, plongeant dans le vieux journal intime qui, depuis ma plus tendre enfance, m'avait suivi. Volontairement, je sautais le souvenir douloureux de Tian Xia pour reprendre ma lecture au début de mes dix sept ans.

C'était un soir de deuil pour l'Empire Nuwa, mais de fête pour la famille Mei. L'impératrice décédait de cause naturelle, ouvrant l'opportunité à tant de prétendantes de mon âge de rejoindre le palais impérial. Jamais n'avais-je vu Mère aussi extatique que cette nuit-là. A cette époque déjà, ma santé me jouait des tours que je tentais vainement de cacher aux autres. Si la matriarche des Mei ne pouvait s'empêcher de rêver de pouvoir, ni Père ni moi n'étions dupes : il ne serait jamais question pour une femme faible et malade de ne serait-ce que caresser cet espoir.

A la place, pragmatiques que nous sommes, nous avions préféré nous concentrer et travailler sur les qualités qui montreraient mes atouts : ma qualité à utiliser les autres à mon avantage. Ainsi me ai-je créé un véritable réseau de prétendantes nobles dont j'étais alors la représentante directe, pour mieux me mettre sous la lumière sans jamais jeter la moindre ombre sur celles qui avaient le plus de chances d'être élues. Sans surprise, la jeune, talentueuse et charismatique Yue Kao devint impératrice.

De celles qui affrontait les défis de face, elle était pourtant une souveraine intelligente, et suffisamment autoritaire pour se permettre un rapprochement auprès du Royaume Austral sans pour autant se mettre le peuple ou la noblesse à dos : quand Yue Kao parlait, tous écoutaient ; quand elle ordonnait, tous obéissaient ; quand elle fut assassinée par son propre frère, quatre ans à peine après le début de son règne, tous pleurèrent.

Quant à moi, jeune politicienne trop assurée, j'avais suivi son ombre dans l'espoir qu'elle me remarque enfin ... Et à mon grand regret, ce ne fut pas la belle et paisible Kao mais la foudroyante Woo Li qui m'attira entre ses griffes, et scella mon destin.

J'aimais cette maison. Demain peut-être ne la mériterais-je plus.