Il est beau, Arash. Il le sait, mais cela n’enlève rien à son charme. Il est de taille moyenne, doté d’une musculature fine, bien sculptée par les années d’entraînement et de combat. Sa peau habituellement de miel prend une couleur de pain d’épice en été lorsque le soleil se fait plus présent. Quelle que soit sa couleur, on voit avant tout ses yeux. D’un bleu profond, azuré, dotés d’une lumière interne qui les rend presque hypnotisant. Il le sait et derrière une expression sérieuse, il sait s’en amuser.

Son visage, mâle à la mâchoire carrée respire cependant l’intelligence ce qui le rend plus charmeur encore. Malgré une décontraction affichée, il fait très attention à son apparence, à commencer par sa coiffure, longue sur le dessus, courte sur les côtés pour rester séduisant sans avoir de soucis de casque ou de chaleur. Ses vêtements sont stricts, dans les nuances de bleu et de gris, coupés sur mesure dans des matières somptueuses. Il n’est pas de ceux qui se paonnent avec des couleurs vives, de plumes ou de ruban. Il tire fierté de la perfection de ses tenues. Il est toujours pratique, toujours sobre, toujours impeccable. Et pourtant, lorsqu’il n’est pas en représentation, déchirer ou salir ses vêtements ne le dérange pas. Il fait la différence entre son travail d’héritier et celui de soldat. Pour lui, ils ne sont pas incompatibles et la difficulté rend tout ça plus intéressant encore.

Sa démarche est souple, assurée. Il est doux avec les animaux et les femmes, fermes avec les soldats. Malgré tout, il n’est pas des plus adroit et on ne le voit pas faire des cabrioles partout, il préfère un geste précis aux démonstration d’habilité. Sa voix, grave, posée, pleine d’autodérision est de toute façon sa plus grande arme. Il s’en sert sans parcimonie, jouant avec les mots qu’il aime tant, les sonorités et les espoirs des autres. Très bon menteur, il sait aussi sortir des énormités sans qu’un seul muscle de son visage ni aucun trémolo de sa voix ne le trahisse. Quant à ses yeux, ils sont toujours aussi clair que le ciel d’été. Quoi qu’il arrive.

Fier et sûr de lui, Arash est avant tout un charmeur et cela se traduit à première vue par une amabilité simple. Ce n’est pas un homme qui vous fera sentir sa naissance au premier abord. Il est ouvert, à l’écoute, curieux, avec toujours un mot aimable. Il sait plaire, aime les mots, aime les gens, il vous aime et ça se voit. Ce n’est qu’après, lorsque l’on s’est sorti de son influence qu’on se rend compte de son égocentrisme. Il ne pense finalement que très peu aux autres, persuadé que, comme lui, ils savent exprimer ce qui ne va pas, ce qui ne leur plait pas. Derrière sa grande politesse et sa connaissance exacte des rapports de force, il pense avant tout à son propre plaisir, son avantage. Les autres, il les aime bien pour l’accompagner mais pas pour lui faire de l’ombre.

Ce défaut n’est pas petit et il en découle plein d’autres. Il est insouciant, parfois cruel sans le vouloir, facilement menteur si cela peut lui simplifier la vie, manipulateur, bref, il n’a que peu de scrupules à mener les autres à la baguette. Après tout, s’il est au-dessus d’eux par l’intelligence, le charme et la naissance, c’est bien pour les diriger, non ? C’est ce qu’il pense, néanmoins. Et si l’on ne se fait pas prendre, c’est que l’on a été le plus intelligent. C’est une victoire. Car Arash est un compétiteur. Bon joueur cependant, il n’a rien contre perdre, c’est simplement le signe qu’il faut qu’il travaille plus.

Il n’a pas que des défauts. Il est profondément loyal à sa famille, son roi, son peuple. Travailleur et exigeant envers lui-même, il se donne les moyens d’arriver à ses fins. Il est intelligent, a trouvé plein de méthodes pour surmonter sa mauvaise mémoire, pour faire oublier ses oublis. C’est un homme sportif, énergique, toujours en mouvement. Il adore les animaux qui le lui rendent bien ce qui fait également souvent oublier son égocentrisme. Sensible, il peut être assez fin pour comprendre et saisir les émotions d’autrui tout comme passer à côté de choses évidentes s’il ne s’intéresse pas plus que cela à la personne.

Ni méchant ni gentil, Arash est un jeune homme avec ses défauts et ses qualités, encore jeune et capable d’évolution. Son intelligence en fait une personne capable de se remettre et question et d’apprendre de ses erreurs. Sa famille vous dira qu’il a un bon fond et c’est ce qu’il pense de lui mais avant tout, il restera loyal aux Takhmaspa. Et comme il leur donnerait sa vie sans hésiter, la vie des autres, à cette aune, ne vaut rien.

Nous sommes nés le même jour, sous le même soleil. Tu avais déjà le sourire ravageur et tes yeux du bleu-gris des nouveaux-nés n'avaient pas encore pris les reflets d'azur qu'ils arborent maintenant mais ils possédaient déjà cette flamme qui fait chavirer les cœurs. Tu avais autour de toi ta mère fatiguée et heureuse, ton père fier et soulagé. Le premier de la Maison Takhmaspa était un mâle, et un mâle en bonne santé, montrant tous les signes d’un heureux caractère. On t’avait posé dans des draps fins, dans une pièce aux meubles de bois précieux, ton berceau donnant sur les grandes fenêtres de la demeure de campagne. J’étais deux étages au-dessus, dans une minuscule chambre meublée de deux paillasses, avec une fenêtre de toit donnant sur des nuages. C’était la mère de l’intendant, une vieille servante édentée et à moitié sourde qui me berçait. Ma mère était inconsciente dans ses draps souillés, mon père, lui, s’occupait de tes troupeaux. Je pleurais déjà. Tu riais toujours.

Nous avons grandi en parallèle. Je te regardais souvent depuis les couloirs de service. Tu ne me voyais pas. Tu as fait tes premiers pas avant moi, j’ai prononcé mon premier mot avant toi. Tu étais entouré, lumineux, aimé de tous, des grands comme des petits avec cette facilité qui a toujours été la tienne de t’inscrire naturellement dans le cœur de tous. Tu étais gourmand, un peu rond, les cuisines ne résistaient jamais au sourire édenté de tes cinq ans. J’étais grande et maigrelette, les mains déjà abîmées par les travaux. Tu ne me voyais pas, pas même quand on se croisait. Et je n’étais pas jalouse. Les choses étaient, il ne me serait pas venu à l’esprit qu’elles puissent être autrement. Tu étais l’alpha et l’oméga de mon univers. J’imaginais, avec des poupées de chiffon nos premières discussions et, parfois un bisou sur la joue. Tu avais sept ans lorsque ta sœur vint au monde. J’étais plus seule que jamais. Ma mère était morte en couche, en même temps que mon frère et mon père de plus en plus absent. La mère de l’intendant avait été remerciée, vous n’aviez pas de temps à perdre avec les personnes âgées. Elle n’était pas à plaindre, vous lui aviez prêté une petite maison à elle et quelques bêtes pour survivre. Ta famille n’aime ni le malheur, ni la vieillesse. Mais toi, tu adorais ta sœur, déjà à l’époque et l’éblouissait de sourires.

Nous avons eu dix ans et il vint l’idée à ton père de te donner tes propres serviteurs pour t’aider dans les tâches ménagères que tu n’effectuais de toute façon pas. On me proposa, puisque j’avais le même âge et le jour de nos anniversaires, on me poussa de l’ombre juste sous tes rayons. J’étais toujours plus grande que toi et tu abaissas tes yeux sur moi, me voyant pour la première fois. J’en fus aveuglée. Tu me brûlas le cœur. Pour la première fois, ta voix encore aigue me demanda mon nom. Je te l’avouais, tu ris, j’en fus brisée, puis tu m’expliquas la blague et je dus rire avec toi et je me souviens que j’en avais été heureuse.

C’est alors que je pris conscience de tes journées. Tu n’avais rien d’un feignant. Du lever du soleil au coucher, tu étais dehors. Cours de combat, cours de soin aux bêtes, cours de sport, de tactique, d’élevage, tu apprenais tous les métiers de ta Famille. Une fois l’astre couché ou quand le temps était trop mauvais, tu continuais à l’intérieur par la géo-politique, les langues, les mathématiques, les fortifications jusqu’à une heure avancée puis tu t’effondrais dans ton lit et tout recommençait. A ta suite, j’appris moi aussi à comprendre cette Famille que j’allais passer ma vie à servir.

Ton père n’était pas le Seigneur, c’était à son frère aîné que la tâche revenait. C’était lui qui avait le château dans les plaines Eternium. Vous aviez la maison d’été et le palais de Sorreal, dans le quartier des Savoirs. Il y était la plupart du temps, officier des Gardes du Phénix et discutait là-bas avec son frère, Elu du Conseil Austral. Ils étaient appréciés, professionnels, loyaux envers le Roi et la famille Glittory. Tu n’étais pas destiné à rejoindre les Gardes, malgré tes dispositions pour les armes, non. Et cela te blessait car tu aimais t’imaginer une vie de gloire et de Hauts-Faits, couronnée par une alliance dans la famille royale et, qui savait, peut-être le trône mais dans l’honneur et le respect de la loi. Tu l’aimais beaucoup cette loi. Surtout lorsqu’il s’agissait de la transgresser en allant voler des œufs de Piruz que tu gobais avec délice pour leur gout prononcé de caramel. Tu n’avais aucune honte à m’accuser lorsque tu te faisais prendre mais tu le faisais avec cette grâce qui m’empêchait de t’en vouloir. J’étais amoureuse de toi alors. Je le suis toujours je crois. Tu m’as brisée alors il est juste normal que tu aies commencé par le cœur.

Treize ans. Tu m’as dépassé. Du petit garçon bouboule est sorti un homme grand, à la musculature fine. Ta peau de miel, bronzée par le soleil fait ressortir des yeux d’azur que jamais aucun nuage n’a terni. Je grandissais dans l’autre sens, seule avec la découverte de la féminité. J’avais peur, je me sentais laide à côté de toi, gauche. Tu m’as embrassée parce que j’avais du miel au coin des lèvres. Tu es resté gourmand mais à présent, tu avais faim d’autres choses. Tu m’as appris à être une femme l’année d’après. Tu faisais tes armes sur moi, tu me parlais passion, tendresse, cadeaux que tu m’offrais comme cette incursion dans la forêt de Millesia pour me cueillir une fleur qui, une fois coupée, n’était pas dangereuse pensais-tu. Tu me l’as mise dans les cheveux et elle m’a brûlé le cuir chevelu. Tu as eu la décence d’en être désolée. Depuis, une mèche argent barre mes cheveux roux. Tu me dis que ça me va bien mais je sais que tu t’en moques.

Quinze ans, changements, ton oncle t’adopte. Il n’a pas eu d’enfants avec aucune de ses trois femmes successives, alors tu deviens l’héritier. Cette épée de Damocles a toujours été la tienne, mais tu n’avais pas envie. Tu as fait ton caprice, tu as gagné, tu es parti à Sorreal, tu as été entraîné par ton père à la guerre, par ton oncle à la diplomatie, l’accompagnant au Conseil même si tu n’étais pas élu en tant que scribe. Pendant deux ans tu m’as oubliée. Je t’envoyais des lettres écrites maladroitement lorsque je trouvais un morceau de parchemin utilisable dans les corbeilles et que j’avais économisé de quoi payer l’envoi. Tu ne répondais jamais. Ta mère nous donnait des nouvelles. Tu lui disais tout, même tes conquêtes, passages que l’on voyait à des pauses dans les récits. Elle ne nous le disait pas, ni à ta sœur, ni au domestique. Alors le soir je volais tes écrits, je les lisais avant de dormir, je les cachais sous mon oreiller. Jusqu’au jour où je me suis fait prendre. On m’a renvoyée. J’ai perdu mon toit, mon pays, tout espoir de te revoir. Je ne savais pas quoi faire, je n’avais personne vers qui me tourner. Alors j’ai fait l’impensable. J’ai marché jusqu’à la grande ville. Je t’ai retrouvé. Tu avais dix-sept ans, moi aussi. Tu avais deux femmes à tes bras, moi des chaussures trouées. Tu as ris de moi, tu as fait semblant de ne pas me reconnaitre. Tu m’as donné des pièces comme à une mendiante pour que je me trouve un lit dans un hôtel minable. Et pourtant tu m’as rejointe à la nuit tombée. Tu m’as aimé. Je crois que c’était parce que tu ne pouvais rien faire avec les deux autres et que tu étais frustré. Nous n’en parlions jamais de ces moments. Nous n’avons jamais parlé beaucoup mais tu m’as promis une place et j’ai cru que je pourrais enfin être dans ta lumière, près de toi. Tu m’as donné à l’oncle. Et l’oncle aussi, il aimait mon lit.

Je supportais l’oncle pour rester avec toi, pour les bribes que tu me donnais. Dans mon cœur, nous étions mariés, l’un à l’autre, cela me paraissait normal. Je te regardais charmer tout ce qui tombait sous ton sourire. Je savais que les filles de la haute ne pouvaient pas te donner leur corps, juste leur compagnie. Et puis nous avons eu vingt ans. Tes galons d’officier, ton titre de noble. Tu disais pour plaisanter que j’avais plus de possessions que toi qui n’avait rien en propre, pas même la monture que tu soignais tous les jours. C’est là que tu l’as rencontré. Tu avais fuis l’oncle et les responsabilités dans la maison d’été. Sans moi. Tu avais emprisonné ton adolescente de sœur sous les rets de ton charme. Moi, je ne pouvais pas te suivre dans cette maison où l’on m’avait bannie, alors tu m’avais mise dans la cabane de la mère de l’intendante, celle qui était morte quelques années auparavant. Pour ton confort plus que pour le mien. Je le savais et, pourtant, dès que tu parlais je n’avais plus aucune volonté.

Tu as trouvé Najwa dans la forêt Millesia où tu t’étais mis en tête de passer deux jours. C’était un petit à l’époque mais il avait déjà ces yeux ambrés qui aujourd’hui encore me font peur. On ne connaissait pas cette bestiole. Tu as fait des recherches, découvert qu’il s’agissait d’un Ortrun, une espèce que l’on pensait disparue de marsupiaux. Beaucoup de légendes en ont parlé, on dit que son masque cache la mort, on dit qu’il est serviteur de Vermine. Toi tu le penses créature d’Illosio. Tu as toujours eu un faible pour le dieu de la création et de l’ennui. Je te soupçonne de te croire toi aussi créature du Dieu. L’humilité n’a jamais été ta force. Cet animal, tu le traites mieux que moi, tu l’aimes parce qu’il est exotique, parce qu’il est ta première cicatrice, une marque sur l’épaule venue d’une plante de la forêt. Je n’en saurais pas plus, tu en changes l’origine à chaque récit. Il est sur notre lit lorsque nous faisons l’amour. Et il me regarde et je sens qu’il lit au fond de mon cœur et il ne t’apportera que des ennuis.

Vingt-deux. Je suis enceinte. De toi. Tu me dis que tu es heureux. Tu me donnes une infusion « pour ma santé fragile ». Je le perds. Je sais que tu en es la cause. Je sais pourquoi. J’aurais aimé que tu me le dises honnêtement J’aurais bu avec la même docilité, même si ça devait me tuer. Je t’appartiens. Je ne veux pas le nier. Mes larmes lorsque je suis seule me le rappelle chaque jour.

Aujourd’hui, nous avons vingt-cinq ans. Nous sommes le 27 février et tu m’annonces que tu vas te marier. Je deviens blanche. Tu dis que ça ne changera rien entre nous. Je n’en ai jamais douté, pourquoi respecterais-tu plus ta femme que les autres ? Je demande avec quelle famille. Tu deviens sombre. Une Kaimen de Ren. Une étrangère qui ne comprendra pas notre culture. Elles sont petites, elles ont le teint maladif, elles n’ont pas les formes que tu aimes. Mais surtout, nous étions mariés de cœur. Tu me demandes d’entrer à son service, de la conseiller, de l’aimer comme je t’aime. Tu ne sais pas ce que tu exiges de moi. Depuis l’avortement, je souffre à chaque lune à l’intérieur de mon ventre mais je le cache. Je suis souffrante chaque hiver. L’humidité s’infiltre au plus profond de mes os. Tu ne vois rien bien-sûr. Mais elle, elle le verra. Je ne veux pas quitter ton ombre pour la sienne.

Nous sommes nés le même jour, sous le même soleil. Tu avais déjà le sourire ravageur et tes yeux du bleu-gris des nouveaux-nés n'avaient pas encore pris les reflets d'azur qu'ils arborent maintenant mais ils possédaient déjà cette flamme qui fait chavirer les cœurs. Et je prie dans cet autel pendant que tu paonnes de tes nouvelles fiançailles, pour que celle qui va être liée à toi ne soit pas aveuglé par ton charme. Qu’elle te fasse vivre un peu ce que tu me fais vivre. Parce que malgré tout, Arash, je t’aime toujours.