Lyudmilla & Lin - L'Alchimiste et l'Ambassadrice [01/05/2019]

Cela faisait déjà cinq ans qu'elle arpentait les terres silkiennes à bord de sa roulotte, aidant les malades et les blessés grâce à ses dons d'alchimie et de médecine. Pas qu'elle n'avait pas travaillé pour acquérir ces aptitudes. Lyudmilla avait dévoué sa vie à sa vocation et bien qu'elle aimait sa nation et le travail qu'elle faisait pour elle, son train de vie était devenu quelque peu banal et elle sentait comme si elle était destinée à plus grand...

Mais sa quête pour une destinée épique allait devoir attendre. Elle approchait la capitale, où elle allait rencontrer un futur patient. Celui-ci ne lui avait pas laissé de nom, seulement une adresse et un message: elle devait le rencontrer dans un hôtel nommé "Le Céleste". Lyudmilla avait passé quelques fois devant. Il s'agissait d'un établissement prestigieux, pas du tout le genre d'endroit qu'elle fréquenterait normalement. Lyudmilla vivait une vie assez modeste, malgré sa notoriété.

Après avoir garé sa roulotte aux portes de la capitale, elle fit son chemin vers l'hôtel avec, bien sûr, son compagnon, Abaddon, perché sur son épaule et sa sacoche contenant tous ses outils. Une fois rendue à destination, on lui fit signe d'attendre dans l'entrée, puis une servante Nuwa vint à sa rencontre. Lyudmilla vit tout de suite que son masque la déconcerta quelque peu, et fit son possible pour rassurer la jeune femme, qui la conduisit vers la chambre de sa maîtresse. Une fois devant la porte, elle annonça leur arrivée. L'alchimiste s'avança gracieusement avant de s'incliner.

- Lyudmilla Grindelwald, pour vous servir... Comme vous pouvez voir, j'ai bien reçu votre lettre.

C'était un jour sans. Mon corps, semble-t-il, avait sauté sur l'occasion pour offrir à la bouteille jetée à la mer, sous forme de lettre envoyée à une alchimiste de renom : Grindelwald Lyudmilla. Tant par pudeur que par prudence, je n'avais communiqué que le minimum d'information, ne dévoilant ni origines ni sexe.

Ma garde, prudente mais discrète, s'était terrée dans les couloirs, et seule l'une d'entre elles, imperturbable, m'accompagnait dans ma chambre que quittais la dame de compagnie ayant menée la dame de fer jusqu'à moi. Non sans effort, je me levais de mon siège, cachant difficilement mon halètement.

« Ambassadrice Mei Lin, de l'Empire Nuwa », fis-je enfin en lui offrant un sourire sincère, pudique mais chaleureux. « Je vous remercie de vous être déplacée, alchimiste Grindelwald. Je m'apprêtais à dîner, avez-vous mangé ? »

La grande alchimiste se relève lentement, salue finalement la garde-du-corps de l'ambassadrice Nuwa. Elle sourit derrière son masque. Elle ne s'attendait pas à avoir affaire à une personne d'une aussi grande importance, encore moins quelqu'un venu de terres lointaines. Elle n'avait eu contact qu'avec peu de gens du Kaiming de Ren, mais ce n'était guère la première fois ni la dernière fois, elle supposait.

- C'est fort aimable de votre part, Ambassadrice Mei Lin, mais j'ai déjà mangé sur la route vers Sorréal. Cependant, je ne vous refuserais pas un peu d'eau.

Son compagnon ailé donne quelques battements d'ailes. Il était toujours un peu plus nerveux autour d'étrangers, mais il restait docile et à l'écoute aux instructions de sa maîtresse. Elle vient le calmer en lui grattant la poitrine doucement et il reprend sa position initiale, droit et placide sur son épaule alors qu'il fixait l'ambassadrice de son oeil encore fonctionnel, l'autre barré d'une horrible cicatrice.

Je ne pouvais m'empêcher de noter mentalement que maîtresse et corbeau se ressemblaient, tant pour leur oeil manquant que leur docilité tout aussi apparente que suspecte. A sa réponse, j'offrais un bref regard à ma garde qui, sans un mot, se dirigea vers la porte. Au-delà d'aller chercher le verre d'eau attendu, il était probable que mes servants ne décident de retirer l'assiette en plus à ma table, ainsi que mettre les plats de côté : s'ils me connaissaient bien, ils sauraient que je préférais dîner plus tard et favoriser l'échange avec mon invitée.

« Bien. » J'émettais un mouvement de paume pour l'inviter à s'asseoir dans l'un des confortables fauteuils de la chambre. « Je suis atteinte d'une maladie rare, génétique, qui ne connait nul traitement au sein de l'Empire. Si j'ai fait appel à vos services, c'est dans l'espoir que le Royaume Austral puisse m'offrir autre chose qu'un avenir trop court, assise dans un fauteuil plutôt que debout et la tête haute. Nous ne connaisons pas à ce jour la cause de cette affliction, seulement ses effets. »

Une affliction génétique... C'était souvent les plus compliquées et les plus difficiles à traiter, et bien souvent, on ne pouvait qu'améliorer la qualité de vie sans pour autant complètement mitiger les effets de la maladie. Néanmoins, c'est ce genre de défi qui avait motivé l'alchimiste à pratiquer son métier.

- Hmmm... Je vois. Fort intriguant... Comment décriveriez-vous les symptômes de votre trouble?

On lui amène finalement un verre d'eau et Lyudmilla remercie chaleureusement le serviteur qui vient le lui porter. Elle porte ensuite ses mains vers son masque pour y défaire les attaches, le séparant en deux sur le côté pour libérer ensuite son visage. C'est toujours un soulagement de l'enlever, même si sa vient aussi avec une certaine mesure d'anxiété, car il est toujours difficile de savoir comment les autres réagiront à ses cicatrices. Mais pour boire, elle n'a pas le choix de le retirer, et ça ira mieux pour examiner sa patiente par la suite, sa vue étant déjà moindre avec un oeil en moins.

Je marquais une pause, pensive, en l'observant retirer son masque. Si l'on m'avait vanté que ses compétences n'égalaient que sa laideur, je ne pouvais m'empêcher de penser que l'on offrait plus d'affliction qu'elle n'en avait en réalité : certes, son visage était défiguré, certes, elle était pâle comme la nuit, mais nul ne pouvait ignorer que, derrière ces cicatrices, il y avait un jour une femme à la beauté inégalée.

« Fatigues et douleurs chroniques, avec différents niveaux de gravité. Par moment, il m'arrive d'être incapable de rester debout très longtemps. C'est ... très difficile à décrire. Ce n'est pas musculaire, l'on dirait presque que je perds le contrôle. Certains jours, je suis épargnée. D'autres, comme aujourd'hui, je reste assise pour entretenir l'illusion d'être maîtresse de moi-même. Le reste du temps, j'oscille entre les deux en fonction de mon degré d'activité. »

L'alchimiste attrape son verre, le levant à ses lèvres pour en boire une gorgée. On peut alors noter son doigt manquant sur sa main gauche, son annulaire, le doigt où l'on met traditionnellement les alliances de mariage dans la culture silkienne. Au vu de toutes ses cicatrices, il était difficile d'imaginer comment cette femme avait fait pour traverser toutes les atrocités qui lui avaient été infligées, mais cela témoignait également de la grande résilience dont elle pouvait faire preuve, malgré son apparence svelte. C'était une grande femme élancé, peu de gens croirait qu'elle était particulièrement endurante et tolérante à la douleur, sauf peut-être en voyant l'étendu et la sévérité de ses marques.

Elle reste attentive et à l'écoute de son interlocutrice, son unique oeil la guêtant avec intérêt. Elle dégage une forte présence, comme si une aura sombre l'entourait. C'était peut-être ses cicatrices, sa grande taille, la pâleur de sa peau ou l'ensemble de ces réponses, mais sa présence pesait lourd et elle semblait presque menaçante. Pourtant, son visage demeurait serein et elle paraissait parfaitement à l'aise avec l'ambassadrice.

- Souffrez-vous de ce trouble depuis votre enfance?

Elle dépose son verre, puis vient entrecroiser ses doigts ensembles devant elle, portant l'attention la plus absolue sur elle.

« Depuis le début de mon adolescence, peu ou prou », répondais-je calmement, sans me laisser trop intimider par la femme à la peau de craie. J'avais trop souvent rencontré de personnes intimidantes, de volonté ou par la force des circonstances, pour qu'elle ne me semble menaçante.

« Cela a commencé sans heurt : des vertiges, des tremblements chroniques, une fatigue généralisée. Plus le temps passe, plus les effets sont présents. Il m'est difficile, depuis longtemps déjà, de tenir une épée légère en main plus de quelques minutes - raison pour laquelle je suis l'une des rares Kaiming De Ren à n'avoir que peu de compétences au combat. »

L'attention de l'alchimiste ne diverge pas de l'ambassadrice Nuwa, alors qu'elle écoute ses propos avec intérêt. Un sourire vient se dessiner sur ses pâle lèvres.

- Il se pourait que ce soit un phénomène qui s'est développé suite à votre puberté, ce qui pourait signifier un trouble hormonal. Avez-vous déjà rencontré des problèmes concernant vos saignements menstruels, ou alors avez-vous remarqué quelque chose d'anormal au sujet de votre fertilité ?

Bien qu'elle se spécialisait dans la concoction de potions et de remèdes alchimiques, Lyudmilla avait acquis un grand nombre de connaissances sur la médecine et la santé. C'était une partie importante après tout dans le processus de création de remèdes, d'être capable de diagnostiquer efficacement les maux des autres. C'est sans doute pourquoi elle ne montrait aucune gène à poser des questions plus personnelles au sujet de la santé de l'ambassadrice. Elle devait avoir l'image complète pour lui faire un diagnostique qui le serait tout autant.

La question avait été toute aussi soudaine que gênante. Certes, nous étions entre femmes, mais de là à parler de menstruations avec une véritable étrangère ... Je surmontais la rougeur qui menaçait de prendre mes joues en me raclant doucement la gorge.

Une jeune servante qui partageait mes origines entra brièvement, déposant deux tasses de ce qui devait être du thé chaud. Jetant un bref regard à la garde qui revenait à son poste et m'offrait un discret hochement de tête de validation, j'approchais la tasse de mes lèvres pour en boire une rapide gorgée.

« Je ne crois pas que ce soit lié à cela. Je dois admettre ne prêter que peu d'importance à ce genre de ... d'événements. Il est en revanche certain que mes servants m'auraient informé si mes cycles avaient été irréguliers. Quant à la fertilité ... Disons simplement que je n'ai pas encore de réponse à vous offrir sur le sujet. »

Je me réajustais sur le dossier de mon siège, en soupirant douloureusement, légèrement haletante.

« On m'a vanté vos talents, mais vous ne seriez pas la première à décevoir mes attentes, ou à m'opposer un refus. Soyez assurée que je ne vous en tiendrais pas rigueur dans les deux cas. »

Un petit sourire vint étirer les lèvres de l'alchimiste. Elle pouvait voir l'ambassadrice bouger inconfortablement dans son siège. Ses questions l'avaient gêné, aucune surprise là. Lyudmilla envoya un regard reconnaissant vers la servante qui était revenu avec du thé pour elle et son interlocutrice. Elle la remercie à nouveau, penchant la tête cette fois avant d'attraper la tasse dans sa main. Elle continua d'écouter Mei Lin attentivement, puis son sourire s'effaça quelque peu en remarquant la grimace douloureuse à son visage. Après avoir pris une gorgée de thé, la dame de fer redéposa la tasse sur sa saucoupe pour ensuite s'avancer légèrement vers le bord de son siège.

- Vous me faites beaucoup d'honneur, mademoiselle Mei Lin, mais mon examen ne fait que débuter, et si je fuyais chaque cas moindrement compliqué, je ferais honte à ma profession.

Elle leva les yeux et fit mine de réfléchir. Si le problème était réellement génétique, Lyudmilla doutait qu'elle parviendrait à trouver un moyen d'éradiquer la maladie complètement. Cependant, elle avait plusieurs moyens à sa disposition pour palier aux symptômes que la jeune femme lui décrivait. Mais avant tout, il fallait qu'elle détermine les moyens déjà employés par la jeune femme avant qu'elle puisse lui prescrire quoi que ce soit.

- Prenez-vous certains médicaments déjà pour vos symptômes ?

Je soupirais, non d'agacement mais de désespoir. Des herbes, concoctions, potions miracles et divers champignons, j'en avais goûté. Certains avaient eu un effet temporaire, d'autres avaient empiré les symptomes, mais aucun n'avait réellement été efficace à long terme, sans doute car ceux-ci traitaient les effets plutôt que les causes. Pour autant, je ne pouvais blâmer les prédécesseurs de Grindelwald Lyudmilla car les causes, justement, m'étaient tout inconnues qu'elles l'avaient été pour eux.

« J'ai tenté à peu près toutes les médecines, tant traditionnelles que plus innovantes, que le marché ait à offrir. C'est simple, si vous connaissez un traitement un minimum répandu ou reconnu, vous pouvez partir du principe que je l'ai déjà essayé. »

Je remerciais la déesse d'être assise, car au-delà de me permettre de me reposer, je sentais les vertiges reprendre. Pour autant, je n'en montrais rien. Toute malade que j'étais, j'étais avant tout ambassadrice de mon peuple, et garder la tête haute en toutes circonstances faisait partie des missions de mon métier.

« Vous pourrez, si vous le souhaitez, m'examiner dans des cadres plus ... propices », débutais-je. Après tout, nous étions dans un hôtel. « Peut-être demain matin, par exemple. »

Lyudmilla pinça ses lèvres légèrement. Elle espérait avoir de meilleures nouvelles au sujet des traitements de l'ambassadrice, mais n'était pas plus découragée qu'avant. Elle était toujours aussi déterminée à améliorer la vie de la jeune femme. De toute manière, la dame de fer s'enorgueillait toujours de ses méthodes moins conventionnelles en alchimie. N'étant pas confinée aux restrictions d'une guilde ou d'une école spécifique, elle avait pu expérimenter beaucoup au fil des années, et ses voyages lui avaient confié bien du savoir qu'elle n'aurait jamais pu trouver au sein d'une école.

- Cela complique quelque peu les choses, mais rassurez-vous, je n'en suis pas moins déterminée de vous aider, Ambassadrice.

La grande femme lui offrit un sourire rassurant, puis elle se pencha sur sa tasse de thé pour la siroter tranquillement. Elle s'apaisa doucement dans son siège, profitant des lieux pour se reposer après un long voyage.

- Comme vous le sentez, Ambassadrice. Je suis ici pour vous, après tout.

Le corbeau sur l'épaule de l'alchimiste émit alors un énorme croassement aigu en battant les ailes frénétiquement. Le visage de Lyudmilla devint plus sérieux, et elle lança un coup d'oeil vers l'ambassadrice Nuwa avec une pointe d'inquiétude au regard.

- Vous êtes sûre que vous vous sentez bien, mademoiselle Mei Lin ?

Elle gratta le ventre de son animal de compagnie doucement pour le calmer, mais son cri n'avait pas été poussé pour rien. Il était usuelle de sa part d'émettre des sons de détresse lorsqu'il sentait le mauvais état d'autrui, comme un sixième sens.

Plus le temps passait, plus il m'était difficile de respirer. Je sentais monter en moi des sensations que je n'appréciais guère : migraines devenaient vertiges, vertiges devenaient troubles de la concentration.

« Oui, oui », fis-je en déglutissant, de plus en plus haletante. Ce qu'il faisait chaud, ici. Je savais bien que nous étions au début de l'été, et que ceux de Terranova étaient davantage ravageurs qu'en Sheng Dao, mais par la déesse, c'en était presque brûlant. « Tout va bien, j'ai juste ... » Je me levais en titubant, sentant que je n'allais pouvoir garder la contenance attendue d'une représente de l'Empire. « Tout va bien, j'ai juste ... Juste ... »

Et plus rien. Le noir. la chaleur. L'inconfort.

Quand mes yeux se rouvrirent à nouveau, nous étions dans le même décor ... Mais pas la même position. Plusieurs paires d'yeux indiscrètes m'auscultaient de haut, et je comprenais que j'étais allongée. Le sol étant mou et confortable, sans doute avais-je été portée sur le lit. Par la lumière, que s'était-il passé ? ...

Malgré ses incitations qu'elle allait bien, l'alchimiste voyait bien qu'il en était tout autrement par le changement de couleur sur le visage de l'ambassadrice. Puis la jeune femme se lève seulement pour s'écrouler la seconde d'après. Lyudmilla se leva vivement de son siège pour aller la rattraper. Elle concentra ses efforts sur la tête de Mei Lin, la protégeant comme elle put avec ses mains et ses avants-bras avant de réceptionner la jeune femme sur ses cuisses. Le bruit attira rapidement l'attention de ses serviteurs et gardes, qui se jettèrent sur elle pour venir en aide.

- Aidez-moi à la mettre sur un lit et emportez-moi un sceau d'eau froide avec un linge propre.

Lyudmilla fit son possible pour raffraîchir le corps brûlant de l'ambassadrice afin de la ramener de l'inconscience. Ce n'est que plus tard que les yeux de la jeune Nuwa s'ouvrirent, tirant un sourire serein de la part de la dame de fer. Ses serviteurs semblaient également soulagé de la voir se réveiller et Lyudmilla rangea le linge mouillé qu'elle avait utilisé pour lui éponger le front et le cou sur le bord du sceau qu'on lui avait emmené.

- Vous revoilà parmi nous, Ambassadrice. Vous avez subi un malaise, mais vous semblez vous porter mieux désormais.

Elle laissa de l'espace à la dignitaire de Sheng Dao pour qu'elle puisse reprendre ses moyens à son rythme. Son compagnon, Abaddon, s'était installé sur le bord du dossier du lit de la jeune femme et scrutait les visages des différentes personnes présentes dans la chambre de l'ambassadrice, tel un guardien qui surveillait sa patiente.

Me redressant doucement, j'accusais le coup de mon évanouissement, la tête lourde. Les mots sonnaient justes, mais je n'étais durant quelques instants que guère capable d'écouter.

« Que ... », murmurais-je. Les mots de l'alchimiste résonnèrent, et je fermais les yeux un instant, sourcils froncés, pour en accuser l'écho. Je lançais finalement un bref regard vers le thé, avant de renoncer à l'hypothèse : je n'étais pas seule à en avoir bu. De plus, à en juger par les regards entre inquiétude et soulagement de mes suivants, il était peu probable qu'il s'agisse de mensonges.

« Veuillez m'excuser, je ... Ce n'est pas toujours aussi fort, mais ... Aujourd'hui n'est pas un bon jour », résumais-je, la mine crispée mais meilleure qu'avant les événements récents. « Vous avez ma grattitude, Grindelwald Lyudmilla. » J'avais, par réflexe impérial, inversé le sens du nom et du prénom. Ces terres avaient décidemment d'étranges manières quant à la façon dont on s'adressait à ses pairs.

« Je pense que j'ai besoin de prendre l'air », reprenais-je en m'asseyant au bord du lit, soufflant doucement, me préparant à me lever lentement en refusant l'aide gestuelle proposée par certains ; une Nuwa malade n'était pas à la hauteur de l'Empire, et il n'était pas dans mon intérêt de me laisser aider : toute bienveillante l'alchimiste Grindelwald soit-elle, je n'allais pas ternir le blason de ma famille et de l'Empire en apparaissant faible davantage de temps que n'était nécessaire.

Lyudmilla émit un léger rire amusé en entendant l'ambassadrice inverser son nom et son prénom et se rappela que c'était la norme là où elle venait.

- Je vous en prie, appellez-moi Lyudmilla. lui répondit-elle avec un sourire.

La femme borgne se leva de son siège et, aussitôt, son corbeau vint la rejoindre instinctivement sur son épaule. Elle lui avisa un bref regard avant de porter son oeil gris sur sa jeune patiente.

- Je crois qu'il s'agit d'un excellente idée ! Les jardins de l'hôtel offriront un endroit idéal pour prendre l'air.

Lyudmilla pouvait sentir que Mei Lin se forçait à préserver ses apparences devant ses serviteurs, et sans doute devant elle aussi. Après tout, elles ne se connaissaient pas et elle ne voulait sûrement pas mal paraître devant une étrangère d'un autre pays. Sauf qu'à l'inverse de l'ambassadrice, Lyudmilla n'était personne, même au sein du Royaume Austral. Certes, ses péripéties lui avaient cultivé un certain degrés de notoriété, mais au final, elle n'était qu'une simple et modeste alchimiste, quoique avec une certaine mesure de talent. Une fois que l'ambassadrice fut debout, elle l'invita à la suivre dehors, non pas sans quelques gardes qui les suivèrent. Une fois plus à l'égard de ses serviteurs et dehors, Lyudmilla vint glisser sons bras sous le siens pour l'aider à marcher. Elle la forçait quelque peu, certes, mais elle se voulait clairement bienveillante envers sa patiente.

- J'admire votre force, Ambassadrice, mais je vous assure que vous n'avez pas besoins d'en faire autant en ma présence. Je suis ici pour vous aider, pas pour vous juger.

Pour simple réponse, je lui offrais un sourire. Cette fois vraiment sincère, et non plus feint comme les précédents, tout aussi crédibles qu'ils aient pu être.

« Merci, Lyudmilla », fis-je en hochant de la tête. « Je me souviendrais de votre bienveillance. Je pense que vous avez raison. »

Je finissais me lever avec toute la lenteur du monde, soufflant à nouveau, plus discrètement cette fois. Je le sentais : la crise passait lentement. Avec un peu de chance, je pourrais même profiter d'une nuit entière de sommeil.

« Attendez-moi ici », fis-je à mes accompagnateurs, faisant froncer les sourcils d'une des gardes. Tant pis, je ne lui demandais de toute façon pas son avis : il me serait plus aisé d'éviter d'attirer l'attention si j'avais pour seule compagnie une silkienne, roturière de surcroit.

Je quittais finalement la pièce, parlant de tout et de rien avec l'alchimiste sur le chemin vers les jardins, principalement sur des sujets ayant pour lien les us et coutumes du Royaume. Sans vraiment me l'expliquer, il était aisé de parler avec Grindelwald Lyudmilla. Elle n'était pas comme la plupart des silkiens que j'avais rencontré ... Pas comme ceux qui s'approchaient de nous, un rictus mauvais au visage.

« Ben alors la Nuwa, on s'est perdue ? », lança le jeune Austral, manifestement le "chef" de la bande, dont les habits de qualité trahissaient leur place dans la Haute Société locale.

Lyudmilla s'entendait bien avec l'ambassadrice Nuwa. Les deux femmes passaient un bon moment dans les jardins qui entouraient l'hôtel lorsqu'une bande d'hommes aux regards mauvais se mirent à les approcher. Instinctivement, la Dame de Fer s'avança légèrement pour se mettre entre Mei Lin et le groupe de silkiens. Sans son masque, on pouvait clairement voir toutes les cicatrices qu'elle arborait au visage et de son mètre quatre vingt, elle paraissait beaucoup plus grande que la femme Kaiming de Ren qui l'accompagnait.

- Il me semblerait plutôt que ce soit vous qui soyez perdu, messieurs... Qu'est-ce qui vous amène par ici ?

Milla restait courtoise. Elle lui offrit même un sourire serein, même si au fond, elle n'avait aucune envie de converser avec des personnages aussi peu savoureux. Elle n'était pas intimidée par leur nombre ou leurs vêtements, mais elle se souciait pour la sécurité de l'ambassadrice, d'autant plus que son état était quelque peu fragile à cette heure. Elle espérait que sa présence les décourage de rester ou même, dans le meilleur des cas, que ses cicatrices et son aura générale les ferait fuir. Dans tous les cas, elle n'allait certainement pas les laisser approcher l'ambassadrice davantage qu'il ne l'avait fait...

J'allais sévir. Sans doute plus durement que ne l'aurait exigé la bienséance silkienne, mais je n'étais pas d'humeur. Et, comme bien souvent, la faiblesse laissait lentement la place à un regain d'énergie tant espéré. Pour autant, ce ne fut pas moi mais celle à mon côté qui s'avança, m'évitant sans le savoir un impair diplomatique qui m'aurait été dommageable.

Et le moins qu'on puisse dire, c'est que si l'alchimiste n'était pas volontairement intimidante, son ton et son calme imperturbable, à l'exact opposé de ce qu'indiqueraient ses traits, avaient laissé leur marque sur le groupe de jeunes austraux.

« Pft ! », siffla finalement l'un d'entre eux. « Il n'y a bien que les monstres pour aimer ces barbares d'outre-mer. Vous avez de la chance, nous avons mieux à faire. »

« Ouais ! », s'exclamèrent d'autres, sans doute bien hâtifs de saisir la porte de sortie tendue par leur compagnon. Si je n'avais dit mot, j'avais haussé les sourcils, étonnée par la couardise de ceux qui se prétendaient être du "sexe fort", en ces terres.

« Eh bien, combien de fois comptez-vous venir à mon secours en une journée, exactement ? », lançais-je sur le ton de la plaisanterie à l'adresse de Lyudmilla.

Lyudmilla poussa un long soupir en les voyant déguerpir. Elle vint fermer les yeux un moment. Les mots de l'homme, elle les avait entendu un tas de fois, ainsi que bien des similaires. Si elle faisait un effort pour ne rien laisser paraître de l'extérieur, ces mots avaient un effet sur elle même après tant d'années. Elle regrettait maintenant d'avoir laissé son masque à l'hôtel, mais peut-être seraient-ils restés plus longtemps si ça n'avait pas été le cas. Mais plutôt que de s'atarder à leurs commentaires désobligeants, Milla reporta son attention sur l'ambassadrice, qui la remercia une nouvelle fois.

- Je ne fais que mon devoir, Ambassadrice. lui répondit-elle avec un petit rire et une courte révérence. Lorsque j'ai décidé de devenir guérisseuse, j'ai prêté serment de toujours aider ceux dans le besoin.

C'était un serment qui l'avait toujours poussé, même au travers des pires épreuves, même si elle avait eu plus de preuves que le monde ne méritait pas son aide. Son désir d'aider les autres, c'était ce qui la poussait à continuer.

- Et ne faites pas attention à leurs commentaires, mademoiselle Mei Lin. J'ai reçu pires remarques au court de ma vie...

Elle lui offrit un sourire qui se voulait rassurant, mais on pouvait néanmoins y lire une pointe de mélancholie dans son regard. Elle vint gratter le torse de son compagnon ailé, comme pour s'apaiser elle-même, puis elle revint aux côtés de la jeune femme pour lui reprendre le bras en même temps de reprendre leur promenade.

« Nul honneur ne mérite d'être souillé, Grinderwald Lyudmilla. »

Attrapant son bras offert, je le serrais légèrement, le regard peint d'amertume.

« Je n'aime pas votre peuple, Lyudmilla », confessais-je au bout d'un moment, le ton presque triste. « L'honneur et le respect n'y sont que des notions vagues, lointaines. Jusqu'à ce jour, je n'ai que rarement été agréablement surprise par vos semblables, tant il semblerait que votre intelligence ait forcé l'individuel à prendre le pas sur la collectivité. » Je soupirais doucement, avant de reprendre.

« Je le répète, nul honneur ne mérite d'être souillé. » Je m'arrêtais pour tendre ma main libre plus haut, tentant de toucher délicatement le visage mutilé de l'alchimiste, ne forçant pas si elle offrait une quelconque résistance. « Certainement pas lorsqu'il s'agit de celui de la plus belle des australes. » Je lui souriais, sans aucune arrière pensée. Il s'agissait-là clairement de l'avis platonique d'une amie en devenir, ou tout du moins le laissais-je penser.

« Si je soupçonne que votre serment n'ait des airs de prison, je prie la déesse de me tromper. »

Je n'aime pas votre peuple. Il y avait des moments où même la Dame de Fer partageait cet avis. L'individualisme était très répandu et Lyudmilla se faisait souvent dire par ses proches que son aide était gaspillée sur ces êtres indignes. Mais la grande femme s'était fait une promesse lorsqu'elle avait repris le manteau de sa mère, qu'elle aiderait tous ceux qui avaient besoin de son aide, peu importe s'ils se montraient reconnaissants ou non. Ce n'était pas pour la reconnaissance des autres qu'elle pratiquait son métier. Elle le faisait car, pour elle, c'était sa raison d'être, sa raison d'être en vie.

Les mots de l'ambassadrice la percèrent droit dans le coeur. Avant sa défiguration, on l'avait considéré comme une femme d'une grande beauté, mais après... Il suffisait de voir comme ces riches hommes l'avaient traité pour avoir un portait de l'attention qu'elle attirait désormais. Vulgaire, grotesque et monstrueuse n'étaient d'une poignée de mots utilisés pour la décrire maintenant. Être considérée comme la plus belle de n'importe quoi par une personne aussi importante que l'ambassadrice de l'Empire Nuwa n'était pas qu'un petit honneur pour la ténébreuse alchimiste.

- Je suis honorée que vous me tenez en aussi haute estime, Mei Lin, et sachez que vos mots me touchent profondément.

On pouvait voir énormément de reconnaissance dans son regard. Elle tapota la main de l'ambassadrice d'un air réconfortant pour lui répondre:

- Nous sommes tous un peu prisonniers de nos responsabilités, mais si je me permets, je pense que vous êtes bien familière avec ce concept.

Elle lui envoya un clin d'oeil complice, poursuivant leur promenade calmement.

Je ne lui avais pas menti : je n'aimais pas son peuple. Et avant cette rencontre, sans doute l'aurais-je incluse dans ce regroupement. Pourtant, durant cette courte rencontre ainsi que toutes celles qui suivraient, j'aurais eu le privilège de découvrir une femme authentique, bienveillante, talentueuse. Cette dernière me suivrait, par courrier ou en personne quand le besoin se faisait pressant, pour m'aider à guérir pas à pas, avec un peu plus de succès à chaque échange, ma si rare condition.

Ainsi, près de deux ans plus tard, étais-je presque intégralement soignée par celle-là même que les médecins tant Kaiming De Ren que silkien que j'avais consulté en parallèle ne voyaient que comme une sangsue qui n'attendait que de pouvoir m'utiliser.

Si j'espérais bien continuer de la revoir à l'avenir, je savais ce dernier très incertain. De plus, si je souhaitais me protéger d'une reprise de ma maladie, il me faudrait m'assurer qu'elle reste en vie. Il me faudrait agir discrètement pour la protéger. Et, de fait, me protéger.