[03/05/2019] La sagesse commence par l'aveu d'ignorance

Erlann Kunviel attend une vieille connaissance sur le parvis de la Grande Bibliothèque de Sorréal animé par les discussions des érudits qui discutent de littérature, d'histoire  et  de philosophie. Le temps est magnifique ; le soleil est à son zénith.  Il est intrigué par ce rendez-vous qui lui avait été fixé par  phénix messager quelques temps plus tôt, sans plus de précision sur les motifs.

Avec amusement, l'ancien représentant de la Firme Atrium songe  que la guérisseuse  le connaissait  trop bien ; il était incapable de ne pas laisser une énigme rester un mystère à ses yeux. Heureusement que cette demande arrive à un point nommé car il est las d'essayer de déchiffrer l'ouvrage mystérieux de H.S. Cranelow.  Aucun des codes qu'il a utilisé  ne lui avait permis de le lire à l'exception de l'introduction rédigée en silkien.   C'en était plus que frustrant mais il sait que ce temps passé n'est rien comparé à la récompense que représente le fait d'avoir dévoilé des informations auquel personne n'avait encore eu accès.

Erlann et Lyudmilla s'était connu il y a bien des années, lorsqu'ils étaient tous les deux jeunes et frais. À cette époque, Lyudmilla était d'une grande beauté sombre et ensorcellante, son visage n'ayant pas encore subi les supplices qu'il avait souffert aux mains du clergé de son lieu de naissance. Ceci signifiait que l'aventurier était l'un des seuls ayant vu Lyudmilla à l'époque où elle était encore belle et immaculée, et qu'il était sans doute son plus vieil ami. Bien qu'au début de leur amitié, les deux avaient un qu'un bref échange, ces 5 dernières années avaient vu une belle évolution dans leur amitié, et il n'était pas rare que l'alchimiste lui donne rendez-vous lorsqu'elle était de passage à la capitale.

Aujourd'hui faisait partie de ces journées. Elle avait donné rendez-vous à son vieil ami devant la bibliothèque de Sorréal, un endroit qu'elle savait qu'il affectionnait particulièrement. Erlann avait toujours été un intellectuel, un peu comme elle d'ailleurs. Les deux partageaient une passion pour l'apprentissage et l'aventure, bien qu'Erlann avait été beaucoup plus aventurier qu'elle. Ses voyages se limitaient au Royaume Austral, mais elle espérait changer cela dans les mois à venir...

Apercevant le petit homme au loin, Lyudmilla tente de s'approcher de lui le plus discrètement possible, voulant le prendre un peu par surprise. Une fois arrivée à proximité, elle lui tape délicatement l'épaule pour qu'il se retourne.

- Cela fait bien trop longtemps, mon ami. Tu m'as manqué.

Toujours avec son compagnon Abaddon sur son épaule, Lyudmilla lui sourit de derrière son masque, avançant vers lui pour le prendre dans une étreinte.

En effet,  leurs deux premières rencontres  ne s'étaient pas déroulées sous d'heureux auspices ; Erlann s'était blessé  alors qu'il  avait pris la direction de la Vigescie  puis, à son retour, la guérisseuse avait été emprisonné par un prêtre   ayant emprunté le large chemin de la folie.  Erlann se souvenait  encore de la vision du corps brisé par la torture de Lyudmilla,  le spectacle aurait ébranlé même le plus solide des hommes.  Il n'y avait rien à dire sinon que le coupable avait été châtié et envoyé dans la demeure de Vermine, la déesse belliciste.

Il avait vu les faces les plus sombres de l'homme comme les plus lumineuses au cours de ses voyages et, parfois, il s'interrogeait sur la bonté intrinsèque de l'homme. Erlann ne  se considérait pas comme un homme bon n'avait-il pas sacrifié  des compatriotes à Sheng Dao afin que les persécutions déclenchées par un incident dans une maison de Mahjong cesse ? N'avait-il pas éliminé  un homme atteint du Chancre  afin d'épargner à d'autres  ce devoir ?

Autour de lui, on commence à murmurer et il capte  un mot  "masque" qui lui confirme l'arrivée de Lyudmilla. Erlann ne se retourne pas, laissant à la grande femme le plaisir d'essayer de le surprendre. La tape ne le fait donc guère sursauter néanmoins  il fut obligé de lever la tête pour regarder son amie dans les yeux quand il lui rendit son étreinte.

C'est bien vrai par Doseus ! Tu fais  bien des mystères dans ton message ma chère, ça m'intrigue. Qu'est-ce qui peut bien requérir l'expertise d'un aventurier malodorant et dépenaillé  comme moi ?    

Il aurait été inutile d'espérer passer inaperçu, surtout dans la capitale. Lyudmilla était une femme largement plus grande que la moyenne, dépassant même certains hommes par sa taille. De plus, son masque et sa tenue complètement noire la démarquait des autres habitants de Sorréal, et pour les rares occasions où elle ne portait pas son masque, on la remarquait tout de suite pour son visage défiguré par les cicatrices qui lui barrait le côté droit du visage.

- Allons, ne te peint pas un si pauvre portait de toi-même. L'odeur de terre est à peine perceptible sur toi.

C'était à son tour de faire des blagues. Derrière son masque, elle sourit et émet un léger rire creux alors que sa voix résonne dans la boite métalique de son masque.

- Je souhaitais partager avec toi un projet qui est en train de prendre forme doucement, mais avant tout, comment te portes-tu ? Tu as entrepris des voyages intéressants depuis notre dernière rencontre ?

Le petit homme  fit un sourire en demi-lune marquant ainsi son amusement mitigé, le ton ironique de la réplique de Lyudmilla ne lui avait pas échappé.  Le masque de la femme  donnait  à sa voix un effet d'écho presque vibrant comme si elle était caverneuse.

Echo, es-tu là ? , rétorqua-t-il jouant volontairement entre  le nom du Dieu de la nature et le mot commun qui désignait  les sons que les montagnes faisaient répercuter contre leurs parois rocheuses et verdoyantes.  Erlann regardait de nouveau les yeux de Lyudmilla, ce qui n'était pas une chose facile étant donné leur différence de taille.

J'ai visité Rowa Nushen ; j'ai pu découvrir le quartier du Haut-Rowa celui où les puissants de l'Empire Nuwa vivent. Tu devrais voir  un jour ces ponts suspendus  au-dessus du vide qui permettent d'accéder aux différents quartiers de la capitale de l'Empire, ils m'ont donnés l'impression qu'ils tiendront encore dans mille ans même si personne n'en prends soin.  

Il ouvrit sa sacoche et en tira un livre reliés qu'il ouvrit afin de montrer les croquis de Rowa Nushen. Ils ne reflétaient qu'imparfaitement la réalité mais on pouvait aisément distinguer les différences  avec l'architecture silkienne.  Le petit homme tourna les pages pour que la guérisseuse  puisse voir les autres représentations de la cité. Il avait dû se montrer prudent avec la légendaire méfiance des nuwas envers les étrangers ; il aurait risqué d'être pris pour un espion et arrêté.

Les yeux de Lyudmilla parcourent les pages du journal d'Erlann avec une fascination attendrissante. Elle avait toujours voulu explorer le monde et découvrir les différentes cultures du monde et elle avait eu la chance de pouvoir parcourir le Royaume Austral dans sa quasi-entièreté. Mais les autres nations restaient un mystère pour elle, un mystère qu'elle souhaitait percer avant la fin de sa vie...

- Ma foi Erlann... C'est magnifique !

Elle rigole d'un air enjoué, effleurant les dessins du bout des doigts comme pour mieux s'immerser. Sur sa main gauche, on aperçoit facilement son annulaire manquant, celui qu'elle a perdu aux mains de son tourmenteur il y a 5 ans. Des rumeurs racontaient que le prête qui lui avait coupé l'avait gardé par la suite dans ses possessions personnelles...

- Ç'a dû être un magnifique voyage. Je suis heureuse que tu aies pu vivre une aventure pareil.

Bien que son visage était complètement dissimulé derrière son masque, Erlann pouvait savoir qu'elle lui souriait chaleureusement. Lyudmilla avait toujours été une femme sincère, sans malice, même si son apparence disait le contraire. Il s'agissait d'une femme remplie de bonté et de générosité, parfois même en excès. Elle se donnait beaucoup aux autres, parfois à son détriment personnel.

- L'Empire Nuwa devra attendre pour moi, cependant. J'ai une autre destination en tête pour ma première grande aventure... Dis-moi, que te souviens-tu de tes voyages en Vigescie ?

La Vigescie...

Erlann tenait toujours son journal ouvert à la page de ses croquis de Rowa Nushen. Son annulaire orné d'une alliance contrastait furieusement avec l'absence d'annulaire de Lyudmilla. Mais ce n'était pas une union bénie de Syphax  puisqu'il n'aimait pas son épouse et savait que les enfants étaient ceux de l'amant de sa femme.

Tu n'as pas choisi la facilité pour ta première grande aventure.

Il soupira. Il avait envie de se trouver une place pour s'asseoir et  raconter  ses souvenirs de ce continent.

Si nous avons une  flore  agressive en Terranova et en Sheng Dao une faune hostile, les Vigesciens sont les moins bien lotis ; on aurait dit que le désert conspire à les exterminer.  La traversée est monotone, parfois agrémentée d'oasis miraculeux et de cactus dressé comme un défi au soleil de plomb et à la nuit glaciale. Tu ne trouveras nulle part ailleurs une telle concentration de Chancreux et de cristaux : là-bas, ils sont aussi communs que les meuzhes de Terranova. Heureusement, ils préfèrent les falaises du rivage vigesciens à ce qu'on m'a raconté.  Je ne saurais trop te recommander de prévoir des fourrures pour les nuits, des étoffes fines et de quoi te couvrir la tête pour le jour,  de voyager avec une caravane groupée et un guide vigescien.  

Il n'y a qu'à Armasdem où l'on peut vivre dans une relative sécurité, un immense cristal  à demi enterré s'y trouve. C'est là que se rassemblent les clans vigesciens pour débattre des questions nationales, c'est aussi là qu'ils ont abattu Armasdem le Titan Chancreux.  Titan. Ce n'est pas un vain mot ; son squelette a des proportions colossales.

Lyudmilla l'écoutait parler avec une étincelle de fascination dans l'oeil. Bien que la plupart seraient effrayés à l'idée d'entreprendre un voyage en direction de la Vigescie, l'alchimiste y voyait une occasion de découvrir les merveilles qui se cachaient certainement dans cette région aride. Non seulement ça, mais cela lui permettrait d'étudier le Chancre davantage que si elle restait en Terranova, les chancreux se faisant plutôt rares. D'autant plus qu'elle avait entendu parler qu'un remède avait autrefois été créé en Vigescie contre le Chancre, ce qui avait sauvé le peuple du désert, bien qu'il n'avait pas réussi à défaire les déformations causée par l'étrange pathogène. Si elle avait quelconque chance de trouver une cure, ses réponses se trouveraient nécessairement en Vigescie.

Alors que son viel ami lui racontait son récit sur la Vigescie, Lyudmilla l'invita à monter les marches qui menaient vers la bibliothèque du Quartier des Savoirs avant de venir s'asseoir sur l'une d'elles sans se mettre dans le chemin des passants.

- Absolument fascinant... Tu confirmes mon envie de m'y rendre, mais comme tu dois t'en douter, je ne peux y aller seule. J'ai besoin de guides pour me montrer le chemin, et de gens qui savent défendre une caravane d'exploration. Tu as plus ample expérience dans ce genre de chose, et je voulais te proposer de m'aider dans ce projet.

Un sourire chaleureux s'étira derrière son masque.

Elle comprenait que même, s'il se déplaçait pour raconter son expérience du désert, il éprouvait ce besoin de voir de nouveaux savoirs, de découvrir des choses nouvelles. Cranelow était son obsession car il était entré en possession de son journal voilà quelque années sans être parvenu à le défricher. Peut-être exhumerait-il de nouvelle informations sur le célèbre historien et explorateur du XIXe siècle qui lui permettraient de se lancer sur les traces de  ses voyages.  Qui lui permettraient de déchiffrer ne serait-ce qu'une page de ce maudit journal !

Je m'en doutais déjà Lyudmilla, et tu auras mon aide. Tu rêves de redécouvrir le vaccin d'Elixiar  n'est-ce pas ? Tu espères que ce voyage t'apportera les indices sur cette voie.  Cela n'implique-t-il pas des examens sur de pauvres vigesciens ?  

Il plaisantait tout étant à moitié sérieux, c'était dangereux de se livrer à des expérimentations sur le Chancre. Beaucoup de ceux qui s'y étaient risqués étaient devenus ce qu'ils souhaitaient guérir. Erlann ne souhaitait pas un tel sort pour son amie, il la tuerait avant qu'elle ne devienne une machine à tuer, à semer la désolation sur son passage. D'un autre côté, ce serait merveilleux de ne plus avoir à achever les infectés. Néanmoins, sa plus grande espérance était qu'elle trouverait son bonheur en Vigescie, qu'elle rencontrerait quelqu'un qui l'aimerait malgré les cicatrices.

Une fois de plus, malgré le fait que son visage était dissimulé derrière son masque, Erlann parvenait tout de même à la lire comme un livre ouvert. C'est ainsi que l'on pouvait voir à quel point les deux voyageurs partageaient un sens de complicité. Ils parvenaient à se comprendre sans même se voir ou entendre l'autre le dire. Son sourire s'élargit derrière son masque et la dame de fer laissa échapper un rire amusé à la remarque de son ami.

- Si un tel remède existe, il est mon avis qu'il devrait être partagé avec tous. Le Chancre nous affecte tous, que ce soit directement ou indirectement dans le cas des Vigesciens. Cette affliction ne les affecte peut-être plus comme autrefois, mais ils continuent à être victimes de ceux qui le sont.

Un léger soupir quitte ses lèvres. Le Chancre avait pris tellement de vie depuis son apparition et continuait à faire ravages sur le monde entier. Bien que les chancreux étaient plus rares en Terranova, Lyudmilla avait entendu suffisament d'histoires pour vouloir en faire sa mission de trouver un moyen pour alléger les souffrances du monde face à cette menace mondiale. Il s'agissait sans doute d'un but presque utopique, de voir le Chancre vaincu à jamais, mais l'alchimiste ne pouvait pas rester de marbre face à une calamité aussi importante.

- Et toi ? Comment cela se passe avec ton journal ? As-tu réussi à en déchiffrer une partie ?

Deviner ce qui se passait derrière  ce masque n'avait rien de sorcier quand on avait un esprit similaire. Curieux de tout et avide de savoir davantage sur le monde qui l'entoure. Il partageait l'analyse de Lyudmilla sur le Chancre mais il savait aussi se montrer réaliste. Le Chancre continueraient  à constituer une menace  pour tous, car il infectait homme, animaux et végétaux. Sans distinction d'espèces.  Il pouvait se remémorer comme si c'était hier les conséquences  de l'attaque du Chancreux végétal sur son village natal. Et même si Lyudmilla découvrait hypothétiquement le vaccin, il faudrait encore pouvoir l'administrer rapidement pour stopper l'infection. Toutes ces considérations, il ne les évoqua pas.

Il a existé, les vigesciens en sont les preuves vivantes. Du moins, il a existé jusqu'à que des imbéciles ne détruisent la Source, la rassuré-je avec une petite grimace qui exprimait mon opinion de ces imbéciles-là. Ils avaient privés d'avenirs d'autres infectés.

Mon journal ? Je sais qui en est l'auteur.  Un explorateur silkien répondant au nom de H.S. Cranelow. Il prétend détailler le chemin vers la "Vérité d'Anima" quel qu'elle soit. Le reste du texte reste une énigme pour moi. J'espère trouver des réponses dans le quartier des Savoirs en étudiant la vie de de cet explorateur.  

L'éradication du Chancre n'allait pas se faire du jour au lendemain. Ça, Lyudmilla le savait très bien, mais elle savait aussi que la découverte d'un vaccin contre cette malédiction pourrait aider tellement de futurs infectés et c'était cette pensée qui la poussait vers la Vigescie. Cependant, même si les Vigesciens avaient actuellement ce remède en main, elle se doutait qu'ils ne seraient peut-être pas prêts à le partager avec les autres nations du monde. Les relations entre la Vigescie et le Royaume Austral n'ont pas toujours été très positives, même tout l'inverse. La Vigescie avait souvent été en guerre avec le reste du monde, sans doute en partie dû à leur nature d'anciens chancreux. C'était une situation que Lyudmilla trouvait dommage. Elle-même n'avait aucun problème avec les gens de la Vigescie. Leur histoire résonnait beaucoup avec la sienne: ils avaient traversé des épreuves brutales tout en étant coupé du reste du monde. Les autres nations les jugeaient pour des raisons complètement hors de leur contrôle et leurs épreuves avaient laissé des marques physiques sur leurs corps. L'alchimiste ne pouvait que les admirer pour une telle preuve de force et de résilience face à autant d'adversité.

- C'est déjà un début, mon ami, et je suis sûre que tu sauras déchiffrer le reste de cet ouvrage. Elle vint poser une main rassurante sur son épaule. Tu as une idée de ce qu'il a voulu dire par "la Vérité d'Anima" ?

Ce qu'il entendait par la Vérité d'Anima ? Sans plus de précisions, il n'en avait aucune idée. Erlann ne pouvait qu'échafauder des hypothèses, laisser vagabonder son esprit vers les théories les plus folles. La nature même du journal, crypté, et la mention du coût de la Vérité suggérait une vérité dangereuse. Qui ne pouvait pas être mis à portée du premier venu. Qui pouvait détruire ce que l'on pensait connaître du monde. L'explorateur aimerait avoir des certitudes. Avoir des réponses.

Non, je n'ai aucune idée de ce qu'il entend par là, si ce n'est que c'est une vérité qui a un coût. Je peux faire bien des hypothèses mon amie. Sur les Cristaux. Sur la Brume. Sur les Pierres Philosophales. Sur les Reliques. Sur le Chancre. Anima recèle bien des mystères. Mais aucune certitude tant que je ne serai pas allé au fond des choses, j'en ai peur.

Comme il l'avait mentionné, il espérait qu'étudier la vie de l'explorateur sera la clé pour une percée dans le décryptage du journal. Exhumer les traces d'une personne qui a vécu au 19ème siècle n'était pas une mince affaire. Cela prendrait du temps. Un temps qu'il ne craignait pas de prendre. Non, ce qu'il redoutait le plus était qu'il soit à la poursuite d'une chimère. D'une énigme qui restera sans réponse.

Bien qu'il ne puisse pas le voir, le sourire de Lyudmilla s'effaça un peu derrière son masque. Elle baissa le regard légèrement, réfléchissant à ce que venait de lui dire son ami. Une vérité avec un prix... C'était à savoir si elle méritait réellement d'être révélée à l'entendre parler. La dame de fer y songea un court instant, demeurant silencieuse pour un moment avant de retrouver son sourire et redresser la tête vers Erlann.

- Si quelqu'un est capable de déchiffrer ce journal, je n'ai aucun doute que ce soit toi, mon cher Erlann. Tu as un véritable esprit d'aventurier.

Erlann lui faisait penser à ces aventuriers dont on entendait dans les histoires pour enfant, intrépides et remplis de curiosité. C'était toujours un plaisir de l'entendre parler de ses voyages au travers du monde, d'admirer ses dessins des différentes nations. Lyudmilla se considérait chanceuse d'avoir un ami aussi curieux qu'elle sur les différentes cultures du monde ainsi que les mystères qu'Anima leur réservait. C'était pour cette raison qu'elle avait pensé à lui lorsque l'idée lui est venu de visiter la Vigescie, d'autant plus qu'il avait un frère qui y vivait depuis quelque années.

- Tu as des nouvelles de ton frère ? Il est toujours en Vigescie il me semble, non ? Si nous passons par là, nous pourrions lui rendre visite. Ça fait tout un temps que nous nous sommes pas vus.

C'était avant qu'elle ne quitte son village, bien avant les cicatrices... Elle se demandait s'il la reconnaîtrait après tout ce qu'il s'était passé entre temps...

Il avait l'impression qu'elle répondait à ses doutes, à ses peurs vis-à-vis de son entreprise. C'était un réconfort d'avoir une telle amie, une telle complice, friande de ses dessins et de ses histoires d'autres cultures d'Anima. L'avoir rencontré lui faisait  penser parfois au fait qu'il s'était marié tôt à une femme qu'il n'aimait pas et avec qui il avait une relation orageuse. Erlann hocha légèrement la tête, acceptant le compliment que lui faisait Lyudmilla. Elle l'interrogea ensuite pour avoir des nouvelles de son frère Farrell.  Caravanes et messagers étaient les seuls moyens de connaître les derniers événements, et, bien souvent, ne parvenaient pas à leur destination.

Traverser la Vigescie exigeait un courage et une détermination extraordinaire ; le désert constituait le milieu le plus meurtrier qu'il connaissait. Il ne s'engagerait pas sans une préparation approfondie dans une telle entreprise.

La dernière fois que je l'ai vu, il se plaisait bien dans les bras d'une Vigescienne à Armasdem. La Légion des Sables protègent les lieux  des hordes de chancreux, ça devrait aller pour lui.  

Un nouveau sourire s'étira sur les lèvres de l'alchimiste derrière son masque. Il était bon d'entendre que Farrel se portait bien, même hypothétiquement. Le fait qu'il s'aie trouvé une femme avec qui il s'entendait bien la réconfortait énormément. Si ça n'avait pas été de Farrel, Lyudmilla n'aurait sans doute jamais fait la connaissance d'Erlann et, de ce fait, n'aurait sans doute jamais survécu à la torture qu'elle avait subi aux mains du clergé de son village...

- Bien, c'est décidé alors. Lorsque nous nous rendrons à la capitale, nous irons lui rendre visite.

Elle hocha la tête comme pour confirmer davantage l'idée dans sa tête. Elle leva les yeux vers le ciel d'un air rêveur. Elle n'avait jamais entreprit un voyage d'une aussi grande ampleur, et pourtant, elle ne ressentait pas une once de peur ou d'anxiété à l'égard de cette idée. Plutôt, elle était rempli d'un sentiment d'émerveillement et d'excitation à l'idée d'aller découvrir une nation dont elle avait toujours rêvé visiter. Elle voulait en apprendre plus sur la culture vigescienne, voir quels remèdes y s'y préparait et, tout simplement, observer le train de vie de ses habitants. Lyudmilla soupira d'un air content, puis reporta son attention sur son ami.

- Où devrions-nous commencer, pour réaliser cette vision ? Je suis bien au courant que la Vigescie est un endroit rempli de dangers. J'ai pensé qu'il serait peut-être bon de se joindre à une expédition marchande pour se rendre là bas. Qu'en penses-tu ?

Tout dépend. Il est possible de joindre aux caravanes marchandes. Mais laisse-moi te pointer les désavantages et avantages de ce que tu proposes. Ce sont des dangers que tu connais bien puisqu'il faudra parcourir des terres occupées par la végétation de notre pays avant d'atteindre le désert.   Il s'arrêta un instant pour ménager son discours et pour effleurer son visage, là où il avait reçu une mauvaise blessure. Le petit silkien ne serait pas là aujourd'hui sans les soins de Lyudmilla.  Amata et Solares sont des saisons redoutables pour les voyages dans notre pays, il vaut mieux partir pendant Melancolys en dépit du mauvais temps propre à cette saison.   Il eut une petite pensée pour lui-même qui ne suivait pas ces recommandations, l'explorateur était plus que conscient des risques qu'il prenait avec les plantes en furies des deux saisons du début de l'année. Et Primaflavia est bien la dernière saison que je te conseillerai pour un départ. J'ai déjà vu certains de ses effets de trop près à mon goût. Le débordement de la Brume sur les berges et qui rentrait dans les habitations, par exemple.

L'alchimiste prenait note des conseils que lui offrait son ami. Ses informations seraient précieuses pour l'organisation de l'expédition. Elle l'écoutait parler avec un léger sourire aux lèvres. C'était un grand soulagement d'avoir un ami aussi connaisseur de la Vigescie et Lyudmilla se considérait très chanceuse qu'Erlann y avait déjà été avec son frère auparavant. Elle ne se doutait pas une seule seconde qu'il lui serait d'une grande aide lors de ses préparatifs et même après.

- Bien, j'en fais une note mentale. lui répondit-elle avec un petit rire. Après tout, tu t'y connais bien mieux que moi à ce sujet.

Elle rigole de nouveau, son rire sonnant caverneux dans son masque de métal. Elle aperçoit quelques regards indiscrets dans sa direction, des passants qui la fixent avec méfiance. Lyudmilla se disait qu'elle préférait cela au dégoût dont elle avait l'habitude lorsqu'elle retirait son masque. Elle souffle légèrement derrière celui-ci avant de reporter son attention sur Erlann.

- Pour ce qui concerne la végétation d'ici, j'ai parcouru les terres de Terranova suffisamment de fois je crois pour dire avec confiance que nous pourrons éviter la plupart des dangers. De ce fait, ce sera peut-être moi le guide à ce moment-là !

Son rire revient aussi rapidement qu'il était parti. En effet, la Dame de Fer avait énormément d'expérience avec la végétation de Terranova. Il le fallait pour ses recettes d'alchimie. Terranova était un pays riche en matières premières lorsqu'il s'agissait de composantes alchimiques et Lyudmilla était très connaisseuse du sujet. La partie du voyage en terres Australes étaient la moindre de ses inquiétudes...

Il fallait reconnaître que les plantes de Terranova avait un profond impact  sur les représentations des dangers du voyage.  Son enfance  près de la Frontière ainsi que sa mauvaise rencontre avec une plante, soignée par Lyudmilla l'y prédisposait fortement.  La guérisseuse, grâce à ses connaissances, devait certainement voir  les forêts comme des précieuses alliées pour son art de l'alchimie.

Comme tu le sais sans doute, les chancreux sont légions là-bas.  Ce que tu ne sais pas, en revanche, c'est qu'ils sont fondamentalement différents de ceux qu'on rencontre en Shen Dao et en Terranova. Pour une raison très simple, lorsqu'ils mutent, ils n'ont souvent rien à leurs alentours à absorber.  Les Vigesciens ont une méthode de classement en trois catégories. Ceux dont je viens de te parler sont ce qu'ils nomment les Bêtas qui représentent un danger moindre.  Les nôtres de Chancreux, sont considérés comme des Alphas par les Vigesciens et bien plus redoutables. Capables de muter, d'évoluer et d'intelligence.    

Il se souvenait très bien de ce qui s'était passé durant son enfance. Du branle-bas général des hommes valides dès qu'un Chancreux végétal avait été repéré. Malheureusement, il s'était montré suffisamment dangereux pour causer un nombre important de morts et des blessés. Il avait même pu voir la scène du combat et le cadavre. Ce n'était pas des souvenirs qu'il tournerait en dérision. Erlann était prêt à se salir les mains avant que quiconque ne devienne un Chancreux même s'il comprenait l'intérêt de la redécouverte du remède. L'émotion se sentait dans son silence.