Yuan Yi est une femme un brin plus grande que la moyenne, à la carrure travaillée, ayant perdu la délicatesse de l'adolescence pour montrer une musculature sèche qui élargit ses épaules.
Son usage du combat en fait une personne au corps fort et souple, qu'on n'aimerait pas avoir à affronter au corps à corps sans précautions. Même ses mains aux longs doigts sont tannées par les armes, la paume caleuse et les phalanges brunies par des cicatrices maintenant indiscernables.

Son visage est rendu dur par un panel d'expressions variant de l'insensibilité au dédain, à la lassitude. Malgré ça c'est un faciès qui entre dans les canons de beauté qu'on pourrait attendre d'une jeune fille kaiming de ren. L'ossature fine des pommettes hautes, la ligne de la mâchoire pleine de noblesse entrent en harmonie avec des yeux atypiques d'un noir saisissant.
Cependant on ne peut oublier de mentionner la longue cicatrice qui prend sa source sous son menton, pour tracer sa route jusqu'à sa pommette gauche, plutôt profonde. Elle semble nette, comme faite par une arme blanche aiguisée, et semble avoir guéri depuis déjà quelques années.

Ses cheveux, noir corbeau, sont raides et longs, coiffés en un chignon souple qui libère la longueur.
Elle ne montre aucune coquetterie, si ce n'est le peigne planté dans ce chignon -et encore, peut-être est-ce une arme de plus.
Nulle coquetterie, donc, ni maquillage ni parfum, mais ce n'est pas pour autant qu'elle délaisse l'hygiène. De fait, elle ne sent ni bon ni mauvais, une odeur de savon mêlée à celle de son armure de cuir et de l'huile de lin utilisée pour l'entretenir.

Le tableau d'ensemble dépeint une personne qui peut facilement être perçue comme intimidante. La lance sanglée dans le dos, souvent engoncée dans une armure de cuir bouilli, elle toise le monde d'un regard impassible, avec un maintien haut et droit dont certains, ceux qui s'y connaissent, diraient noble.

Yuan Yi est une femme fière. Elevée dans toute l'arrogance de la noblesse Kaiming De Ren, elle baisse rarement la tête. Consciente de sa force, elle est prompte à la confrontation. Frapper vite, frapper fort, souvent pour faire taire un insolent. Evidemment ça ne va pas sans une grande dose de courage, que certains pourraient prendre pour de inconscience parfois.
C'est sûr, si elle a parfois des relents d'un caractère difficile, Yuan Yi a pourtant appris l'art du compromis avec une certaine finesse. Dotée d'un sens moral à toute épreuve -si sa propre vie n'est pas en danger, du moins- elle s'est construit au fil des ans une ouverture d'esprit rare, qui la pousse à une certaine curiosité envers l'autre.
Si on pourrait attendre d'elle un racisme digne de son éducation, elle n'affiche plus pourtant qu'une très vague méfiance envers certains comme les vigesciens. Une méfiance qui se traduit par une légère distance émotionnelle, qu'elle est de toute façon frileuse à briser, même avec les autres.
Elle n'est pourtant pas dénuée d'empathie, étant capable sans difficulté de comprendre la douleur des autres et de l'éviter avec tact.

Curiosité, compromis, ouverture d'esprit. Tout cela pourrait faire penser qu'elle cache une douceur pas évidente à voir. En effet, elle semble plutôt, au premier abord, renfermée dans un carcan las ou coléreux, difficile au contact. Souvent, on l'aura vu faire peur aux âmes méfiantes.

Le fait qu'elle ne s'exprime quasiment pas participe à cette aura intimidante. Certains disent ne jamais avoir entendu sa voix.
D'autres disent l'avoir entendu s'exprimer en chuchotements agacés.
Mais ses gestes, vifs et précis, font souvent circuler l'information plus vite que ne l'auraient fait des mots.

Rowa Nushen,
Demeure de la famille Zhou,
an 2018

Les talons de mes bottes claquent sur le marbre de la demeure où je circule avec une aisance consommée, souvenir des années passées à courir, pieds nus, dans ces mêmes couloirs chargés de décoration lourde et riche.
Maintenant, je suis grande. Je suis forte. J’entends à chacun de mes pas le battement de la lourde robe de tissu que couvre mon armure cérémonielle. Générale. J’aurais pu espérer mieux, mais il a fallu qu’une malheureuse fausse note fasse flancher ma voix, il y a si longtemps. Une simple erreur, une simple fausse note et mon avenir s’est écroulé irrémédiablement, car j’étais pourtant la meilleure, tu le sais. Je me serais assise dans ce palais et je t’aurais généreusement offert une vie confortable, à l’abri des regards. Je n’ai aucun regret.
Je prends à gauche, je dépasse les chambres. Notre porte est close, personne ne l’a plus ouverte depuis que tu es partie et que je suis fille unique. Dans le hall, un étage plus bas, la tapisserie qui nous représente tous, celle qui s’étend sur six mètres de longueur et trois de hauteur, celle qui est brodée par chaque mâle de notre famille depuis des générations, présente un accroc. Une malheureuse tâche de brûlé.

Voilà tout ce que tu es, ma soeur.
Une tâche de brûlé.

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Sheng Dao,
à 15 kilomètres de Naporia, sur une route peu fréquentée,
an 2018

Je cours, je cours, je m’arrête un instant, je souffle, et je regarde derrière moi. Il me poursuit encore? Quelle idée, de sortir des murs de Naporia, tout ça pour livrer une malheureuse chaise ornementée. Je n’étais pas fait pour l’aventure, j’aurais du rester chez moi, à faire des chaises en bois.
J’entends le rugissement du fauve qui se frustre de ne pas me trouver, mais je sais que son odorat retrouvera bientôt l’odeur âcre de ma transpiration qui dégouline dans mon dos. J’ai perdu mon sac et ma chaise, il me reste un malheureux couteau et je n’ai pas envie de finir ma vie. Mes options sont limitées.
Je ne peux plus courir, je ne trouve plus la route.
Adieu, Naporia.
Adieu, mes amis.
Adieu, petit commerce de…

Soudain j’entends son grognement à deux mètres derrière mon rocher, abri de fortune. C’est la fin. Je serre mon couteau entre mes dix doigts et les larmes roulent sur mes joues.

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“C’est alors que je voyais ma vie défiler devant mes yeux que j’entendis un bruit sourd, à un mètre ! Je n’osais pas regarder, mais j’entendis le fauve rugir, et rugir. Quelqu’un luttait, luttait pour MA vie !
Et puis j’entends le silence… le silence complet…”

Je laisse l’auditoire se suspendre à mes lèvres, et je regarde la femme de l’autre coté du feu qui me sourit sobrement en m’écoutant, le menton appuyé sur la main. Le feu brûlait bas, la nuit était avancée, et pourtant les enfants étaient encore là, à espérer la fin de l’histoire du fabricant de chaises que j’étais. Je reprends mon histoire, pour conclure, tout gonflé d’un sentiment de fierté.

“C’est alors que je sens une ombre s’approcher… je me jette dessus, prêt à défendre ma vie, et à poignarder le fauve !
Et je me fais tordre le poignet méchamment. C’était un geste plus rapide que l’éclair. Honnêtement, venir à bout du tigre, puis de moi, ça allait crescendo”

L’auditoire rit, et regarde la femme qui se relève en s’appuyant sur sa lance plantée dans la terre meuble et qui s’incline théatralement, avec moult moulinets de bras. Elle sait amadouer les enfants PingHeng, qui à sa vue avaient pourtant tendance à s’inquiéter.

“Elle m’a sauvé la vie, vous avez bien de la chance de l’avoir avec vous ! C’est une héroïne !”

La jeune femme fait un geste évasif avec la main, signifiant un peu de gêne, ou peut-être une envie de ne pas s’étendre sur le sujet. Elle incline ensuite le buste vers moi, puis joint les mains contre sa joue, désignant d’un doigt la tente montée près de la caravane.

“C’est vrai, c’est l’heure de dormir. Je rentre à Naporia demain, et je vous promets qu’on ne m’y reprendra plus”

De nouveaux éclats de rire, et puis les parents emmènent leurs marmots dans les roulottes. C’est l’heure de dormir.

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Naporia,
Quelques mois plus tard,

J’enrage. Je serre ma lance dans ma main, me contrefoutant des regards méfiants de la populace qui n’aime pas qu’on tire les armes.
J’enrage.
Mes yeux lancent des éclairs prêts à brûler cette ville et ses habitants, au moindre pas de travers que quelqu’un fera de nouveau en ma direction.
Ce salopard l’a tué, sans remords. Il voulait que je sois témoin de cet acte, mais pourquoi? A t-il quelque chose à gagner à m’avoir comme ennemie?
L’époque où j’étais délicate et indulgente est révolue. L’époque où j’étais une héroïne pour des gens modestes, est révolue. Je ne suis plus personne mais je lui ferais payer ça. Le cri du gamin résonne encore dans ma tête, au moment où il chutait du grand pont vers la Brume.

Je défonce presque la porte de mon minuscule appartement avec un coup d’épaule agacé, et je terrifie un instant mon collocataire, un métisse chétif à la peau mate.
“Mais … Yuan Y-...”
Je le fais taire d’un geste de la main puis je tâche de lui expliquer par gestes que je n’ai pas besoin de son attention pour le moment. Il semble comprendre, le regard fuyant.

Ma rancoeur gronde au fond de mon ventre.
Enrageant de ma grandeur volée. Enrageant de mon insignifiance forcée.
Il est temps de revenir à la poursuite de mes objectifs.
Faire payer cet enfoiré.
Et mettre Rowa Nushen à feu et à sang.

Marre d’être une héroïne.