Le mal du pays [01/08/2021]

Le voyage à bord du Dragon avait été plus épuisant que prévu, et si la chaleur du territoire Austral m'avait été tout autant interdite qu'épargnée par l'altitude, au moins pouvais-je me consoler avec le fait qu'aujourd'hui était un bon jour : ni vertige, ni faiblesse particulière ; dans le cas contraire, sans doute aurais-je retardé mon arrivée d'une journée ou deux pour m'éviter toute déboire face à celui qui m'était promis et, s'ils étaient présents cette fois, sa famille.

Soupirant longuement, j'observais Sorréal passer doucement de paysage à réalité. D'aussi haut, nous pouvions voir le Palais Royal qui surplombait la ville, mais également discerner d'un seul coup d'oeil les différents quartiers qui composaient la capitale. D'un côté, le Quartier des Six et ses temples, jardins et rues jonchées d'effigies barbares. De l'autre, le Quartier des Savoirs, ses universités, ses musées, mais aussi et surtout sa grande bibliothèque, clairement visible. Si je n'étais très à l'aise avec l'architecture silkienne, je ne pouvais nier qu'ils savaient marier ordre et désordre en un savant mélange de chaos contrôlé. Il était clair et visible que Sorréal n'avait pas été bâtie en un jour, et s'était étendue au fil des siècles.

C'était pourtant loin de ces deux quartiers, au plus près du Palais Royal, que le Dragon prévoyait de se poser : loin de la plèbe, et au plus proche de ceux qui m'attendaient. Sur le pont du navire, je soupirais longuement, laissant poindre un once de désespoir. J'allais épouser un silkien. Ces quatre mots suffisaient à me donner l'envie de m'enfuir.

« Pourquoi fallait-il que je devienne ambassadrice ? », murmurais-je pour moi-même, profitant des vents violents qui couvraient mes propos. « Et il ne veut sans doute pas plus de moi que je ne veux de lui. Et que devrais-je faire, quand ... » Je laissais les mots s'arrêter sans chute, soupirant à nouveau en plongeant mon visage dans mes bras croisés sur le bastingage.

J'avais demandé à Woo Jie de m'accompagner pour ce jour, le temps de prendre une pause pour lui-même et ses compagnons avant qu'ils ne doivent repartir - pour rejoindre une caravane vigescienne, supposais-je, puisqu'il m'avait confié ne pouvoir se rendre à Armasdem en bateau volant. En un sens, je crois que je me servais de lui : la compagnie d'un noble Nuwa m'évitait de me retrouver seule face à tous ces païens, tout hauts-nés soient-ils.

Encore un voyage de réussis, je me demande si un jour je me laisserais de circuler librement à travers les nuages, comme un oiseau. J’aimerais que cette sensation d’émerveillement ne cesse jamais et pourtant, je sais que l’être humain s’habitue à tout, c’est à la fois une malédiction, mais parfois, cela nous pousse à aller en avant, pour découvrir de nouvelles choses.

Je rejoins sur le pont mon unique passagère sur mon bateau volant, le Dragon et je dois avouer que la vue est à couper le souffle, la capitale s’étend à nos pieds. Je donne les ordres pour que l’on se dirige vers le Palais Royal. Je vois deux navires du Royaume s’élever péniblement dans notre direction, leur technologie n’égalant pas celle de Naporia et après nous être identifié à l’aide de fanion, ils nous escortent vers la baie d’amarrage.

Une rampe est positionnée et j’indique à la jeune femme, à voix basse pour ne pas être entendu des nombreux gardes silkiens présents :

Je reste à vos côtés quoi qu’il arrive, nous sommes des Kaiming de Ren et à ce titre, notre culture est supérieure à tous ces barbares. La déesse nous protégera, j’en suis sûr.

J’ai beau penser être courageux, j’avoue ne pas en mener large, c’est la première fois que je suis dans l’édifice royal et il est très impressionnant. Pourtant, je me dois d’être à la mesure de l’ambassadrice et je reste le dos bien droit, mon éducation m’a au moins permis de me tenir correctement, quelles que soient les circonstances.

Les choses ont changé. Deux ans de conflits plus ou moins larvés avaient modifié les choses. Il n'était plus question de demi-vacances sans famille au milieu des prairies d'été. Cette rencontre se tenait officiellement dans les quartiers royaux, en plein milieu de la capitale. Si Arash avait espéré que les tensions politiques n'empêche cette funeste union, il n'en avait jamais parlé. Et aucune déception n'avait assombri son visage lorsque l'Oncle l'avait rappelé à son devoir. Il avait salué. Il était sorti.

Ce jour là, il était présent sur le quai d'atterrissage, comme la première fois. Devant sa propre compagnie de guerriers dont les armes, en signe de bienvenue, avaient été remplacées par des branches fleuries supposées montrer la richesse des terres silkiennes. La passerelle fut lancée. Il frappa sur sa poitrine en un salut martial. Derrière lui, la compagnie frappa du pied en simulacre de marche et posa la branche comme autant de fusils sur le coeur. Un salut.

Les yeux clairs et intelligent du jeune homme glissèrent sur la jeune femme puis sur son compagnon du jour. Etait-il...une sorte d'Arya ? Il n'était pas certain de supporter un concubin. Il ne s'était pas comporté en moine ou en fiancé éploré durant leur séparation. Il n'en attendait pas moins de sa future épouse qu'elle soit parfaitement ignorante des relations hommes/femmes.

"A nouveau, je vous souhaite la bienvenue, Ambassadrice Mei Lin. Ainsi qu'à votre compagnon. J'espère que cette rencontre commencera sous de meilleurs hospices que la précédente "il faisait allusion à la tentative d'assassinat de sa famille "et se termine de meilleure façon."

Nous approchions du quai et la rampe de descente était en train d'être positionnée, et il était important que la première impression - enfin, la seconde - ait un impact suffisant. Ainsi me relevais-je la tête et me redressait, fière comme l'Empire.

« Merci, Jie », lançais-je simplement à son adresse avec un sourire un peu forcé, sans cependant lui offrir un regard.

Inspirant profondément comme pour rassembler courage et volonté, je descendais du navire d'un pas décidé, accompagné de plusieurs personnes dont une guerrière en guise d'escorte et une servante, ainsi que Woo Jie et ses accompagnants. Avec brio, je réprimais un sourire moqueur en voyant des soldats armés de fleurs. J'imaginais qu'il y avait-là un symbole quelconque, mais n'arrivait pas à mettre le doigt dessus, et n'avait de toute façon pas à coeur de m'y intéresser.

M'arrêtant devant mon promis, je lui offrais un sourire poli, bien que non-intentionnellement froid.

« Merci, Seigneur Takhmaspa. Je suis ravie de vous revoir. » Un pieux mensonge. « Je vous présente le Prince Woo Jie, qui m'accompagnera ce jour, le temps de se restaurer après cette longue traversée. »

J'omettais volontairement de préciser que le statut de prince impérial n'avait aucun pouvoir en soi et qu'il s'agissait d'un titre offert aux frères et soeurs de l'impératrice, sachant pertinemment que c'était une toute autre histoire au sein du Royaume Austral. Il me tardait de voir comment Arash Takhmaspa le traiterait, et comment Woo Jie y répondrait si la réponse n'était pas celle qu'il attendait.

Le salut martial qui nous accueille est impressionnant, de plus c’est la première fois que je vois autant d’hommes en arme, ces derniers étant plutôt rares au sein de l’Empire. Celui qui nous accueille, le fiancé de Mei Lin, je pense, parle de leur dernière rencontre, qui n’aurai pas été à la hauteur de ses attentes, sans que je comprenne à quoi il fait allusion.

La jeune femme s’avance, après m’avoir brièvement remercié, ce qui me fait plaisir et salut notre hôte, me présentant par la même occasion. Soucieux des convenances, je m’incline comme il sied à un prince venant d’un pays étranger et lui indique :

Je vous remercie de votre accueil, je sais que ma présence n’était pas prévue et je m’en excuse. Je partirai demain pour poursuivre mon voyage, en attendant, je m’efforcerai de me plier à toutes les règles de votre pays que je ne connais que fort peu.

Voilà c’est dit, je suis un novice en termes de connaissance d’autre culture et j’aurais volontiers fumé un peu d’herbe pour me détendre, mais je ne sais même pas si c’est légal dans cette contrée. En attendant, je vais calquer mon attitude sur celle de ma compatriote, celle-ci étant une diplomate expérimentée, c’est le seul moyen de ne commettre aucune bourde, je n’ai pas l’intention de créer un incident entre le Royaume et l’Empire, j’ai bien assez de problème dans ma vie, comme cela.

"Altesse" fit-il sobrement, utilisant le titre silkien pour les princes et frappant discrètement du talon pour que son escorte fasse un nouveau salut fleuri, moins impressionnant que pour sa promise mais quand même du plus bel effet. Cependant, il n'était pas assez naïf pour être dupe de l'effet de manche de la jeune femme. L'Empire était matriarcal. Les hommes n'y avaient qu'un rôle mineur. Il décida donc de ne lui accorder que les égards qu'auraient une femme de haut lignage silkienne.

"Je vous en prie, vous êtes bien venu et s'il vous prenait l'envie de découvrir la capitale, c'est avec plaisir que je vous fournirai une escorte." Les tensions avaient beau être officiellement apaisées, il n'avait pas envie de risquer un incident diplomatique à cause de quelques paysans avinés. Il reporta son attention sur l'ambassadrice.

"Je vous ai fait préparer des appartements privés sur l'aile est ainsi qu'un bureau de méditation pour vos matinées. Arya vous servira de nouveau si vous n'y voyez pas d'inconvénients." Vers le Prince. "Je ne sais pas si je vais être capable de vous trouver une chambre correspondant à votre rang proche de celle de Mei Lin. Préférez-vous une chambre plus petite mais à proximité ou plus confortable mais plus éloignée ?"

Il n'était pas tombé dans le panneau. Entre satisfaction et déception, je décidais tout simplement d'en rester là et de garder un air neutre. Toute formelle et calme qu'elle ne semble, la situation était sans doute déjà assez tendue entre nous pour que je ne l'envenime davantage, bien que je supposais que nous étions tous deux suffisamment doués pour feindre le contraire.

Arya. Le nom me disait quelque chose sans que je n'arrive vraiment à m'en souvenir, mais je supposais qu'il s'agissait-là de l'une de ses servantes.

« Parfait. Je vous suis reconnaissante de vous être souvenue de mes besoins. »

En ce qui concernait les accommodations de mon accompagnant, sans doute aurais-je en temps normal parlé à la place du prince. En tant que femme, je disposais de l'autorité suffisante pour prendre une décision à sa place. Pour autant, Jie n'était pas un Nuwa comme les autres ; non seulement en titre, mais aussi en personnalité.

Ainsi me tournais-je simplement vers lui pour le laisser répondre de lui-même à mon silkien de fiancé, lui souriant légèrement, dans un mélange entre complicité et simplicité.

Décidément, ce Silkien est un hôte particulièrement attentionné et il me propose même une escorte pour visiter la capitale ! C’est vraiment très aimable de sa part et je lui réponds en souriant :

Sans vouloir trop en demander, j’aimerais en effet beaucoup voir de moi-même les merveilles technologiques réputées dans le monde entier.

Pour la chambre, ne voulant pas être séparé de l’ambassadrice afin de ne pas faire de bourde et comme celle-ci n’a pas émis de choix particulier, je réponds à notre hôte :

Je ne suis là que pour une seule nuit, alors une chambre modeste fera parfaitement l’affaire.

C’est vraiment dommage que je ne puis pas rester plus longtemps dans ses lieux, le Seigneur Takhmaspa est vraiment une personne très agréable et maintenant que je suis plus détendu, je me permets même une petite liberté :

Puis-je vous demander une petite faveur, pouvez-vous autoriser les membres d’équipages de mon navire à quitter le bâtiment pour rejoindre les quartiers de la capitale ? Le voyage a été long et j’aimerais qu’ils puissent se détendre un peu avant la suite de notre périple.

Cela leur fera du bien de se dégourdir un peu les jambes, en plus, il y a quelques silkiens parmi mes compagnons, je ne crains pas qu’ils puissent se perdre, ils guideront les autres. Pour l’argent, je leur ai confié assez pour qu’ils puissent faire la fête sans problème.