Rencontre à l'autel [01/07/2021]

Rowa Nushen, chef d'oeuvre de l'Empire, se dressait fièrement au creux de ses montagnes. Véritable berceau de la culture Kaiming De Ren, c'était ici, au plus près de la déesse, que je me sentais réellement chez moi. Il n'était pas rare que, durant mes rares moments de pause, je décide de venir passer mes respects à la mère de mon peuple dans les Quartiers Saints.

Nul Silkien ou Vigescien n'aurait pu nier qu'ici, harmonie et paix étaient maîtres : jardins parfaitements taillés, bâtisses et structures aux toits à quatre pentes et aux murs finement sculptées, sans compter les innombrables sculptures à l'effigie de la maîtresse de ce monde. Qui aurait pu, témoin de ces merveilles, douter de l'existence de notre créatrice ?

Pénétrant dans le temple à l'intérieur humide mais hospitalier, chaussures promptement retirées venant prendre place à côté de plusieurs autres, je rejoignais l'édifice central pour mieux m'agenouiller devant l'autel aux senteurs d'épices diffusées par de petits bâtons à l'extrémité incandescente. Le lieu était animé, aujourd'hui. Davantage que dans mon souvenir, tout du moins.

Pélerins et touristes s'étaient massés dans les couloirs pour observer peintures et reliques, non sans commenter à voix haute ce qui était évident pour tous. Agaçant, mais que voulez-vous faire ? A défaut d'être respectueux, au moins étaient-ils pieux. Et je n'étais aujourd'hui pas en état, de toute façon, pour me lancer dans une joute verbale. C'était, comme trop souvent, un jour « sans ».

1er juillet 2021

Ce temple me fait toujours autant d’effet, les hautes colonnades entourant les statues donnent une certaine majesté à l’endroit et si ce n’était les touristes présents, comme je les appelle, l’endroit aurait pu être reposant. Je ne compte pas rester plus longtemps que nécessaire, je souhaite juste remercier la déesse pour m’avoir protégé pendant mon précédent voyage.

Je m’avance donc vers l’autel mais je vois qu’une autre personne est déjà là et cette silhouette ne m’est pas étrangère, cette robe en soie fendue, d’excellente qualité, ces longs cheveux noirs me font penser à Mei Lin, une ambassadrice et proche de ma sœur ainée, l’impératrice. Je m’arrête donc pour ne pas la déranger, soucieux des convenances et attend patiemment qu’elle ait terminée, priant de mon côté, à distance.

Mes deux compagnons et gardes du corps m’attendront donc un peu plus longtemps, après tout, je doute être victime d’une tentative d’assassinat ici, le lieu est sacré et quelle que soit la haine qu’éprouve le père de la jeune femme que j’ai éconduit envers moi, il craint lui aussi le courroux divin, du moins je l’espère.

Une fois qu’elle a terminé, je peux enfin distinguer son visage fin et ovale et je m’approche d’elle, la saluant comme il convient avant de lui demander :

Bien le bonjour, Dame Mei Lin, comment allez-vous ?

Je fais bien attention à respecter les conventions, j’ai devant moi mon ainé et une femme presque marié, alors il ne doit y avoir aucune ambiguïté, ma réputation en dépend.

Ma prière terminée, les yeux clos et le regard serein, j'expirais longuement. Ces temps de communion étaient toujours pour moi l'occasion rêvée de me vider l'esprit, de ne faire qu'un avec Nuwa ; n'en déplaise à ceux qui avaient tenté de me priver, par leurs cacophonies qui m'avaient semblé incessantes, de mes rares moments à moi. Me relevant, je soufflais discrètement d'inconfort, les jambes endolories, avant de hausser légèrement les sourcils à l'approche d'un jeune homme dont le visage m'était familier. Tant par habitude que par prévenance, j'avais discrètement posé la paume de la main sur le fourreau de mon épée, comme pour reposer mon bras.

L'homme était charmant, et son allure n'avait sans doute laissée de marbre nombre d'impériales - malheureusement pour lui, je ne serais de celles-là. Il ne s'était pas directement présenté, nous nous étions donc déjà rencontrés. Mais d'où, exactement ? Ses traits m'étaient familier, comme si ...

« Woo Jie ? », m'exclamais-je doucement. Par la déesse, de combien de mètres de haut poussent nos hommes chaque année ? « Excusez ma surprise, mon prince. Je ne m'attendais pas à vous croiser en ces lieux. Êtes-vous venu présenter vos respects à notre créatrice ? »

Je lui adressais un sourire, sincère pour une fois. Pour autant, je restais prudent : si Woo Jie, d'autant que je m'en souvienne, n'était pas de ces rats politiques autour desquels graviter était tout aussi dangereux que fructueux, mais les gens changent avec le temps, bien entendu, et il ne me semblait pas l'avoir croisé depuis au moins un an, peut-être plus.

Je ne m’attendais pas à ce que mon interlocutrice mette la main sur son épée en me voyant, je n’ai que ma petite dague sur moi et je ne sais d’ailleurs que très peu m’en servir alors si la jeune femme décide de me découper en deux, je ne pourrais pas y faire grand-chose, je ne suis qu’un homme.

Heureusement pour la suite de ma vie et les enfants que je n'ai pas encore, elle me reconnaît et semble même surprise de me voir, me demandant ce que je fais là, je lui réponds donc en souriant :

Je vais très bien, merci et vous-mêmes ? Vous avez raison sur le but de ma visite, la Déesse m’a protégé lors de mon dernier voyage et j’ai décidé de la remercier dans son Temple, ce lieu m’a toujours paru si reposant et en même temps plein de force.

C’est à ce moment-là de notre discussion que mon ventre gronde tellement, j’ai faim, n’ayant pas pris de me sustenter depuis ce matin alors je demande à la jolie femme qui me fait face :

Pardonnez-moi, je n’ai pas pris le temps de prendre un repas décent ce jour. Sans vouloir paraître trop cavalier, accepteriez-vous de manger en ma compagnie ? Il existe non loin d’ici un restaurant, bien sous tous rapport.

Bien sûr, je ne vais pas emmener une ambassadrice dans un bouge minable, alors autant sortir le grand jeu. J’espère qu’elle va répondre positivement à ma question, je sens que je vais m’écrouler si je ne mange pas très bientôt.

« Je vais bien également. Je ne peux qu'aller dans votre sens, le temple est plus qu'un havre de paix : c'est un haut lieu de spiritualité. »

Je ne peux m'empêcher de souffler de nez, amusée, au grondement de son estomac. Le sourire d'autant plus sincère, les dents presque visible, je sens moi-même qu'il serait inconscient de n'attendre davantage avant de me sustenter. Non que j'ai grand appétit, que l'on compare habituellement plus à celui des oiseaux qu'à celui des loups, mais dans ma condition, il est plus raisonnable d'accepter son invitation.

De plus, avec sa garde et la mienne combinées, nous ne risquerions sans doute pas grand chose. Et quand bien même quelqu'un souhaiterait-il s'en prendre à un Woo ou à une Mei, il serait peu judicieux pour lui d'attaquer les deux de concert.

« C'est avec plaisir que j'accepte votre proposition, prince Woo. Je n'y vois ici aucune offense, bien au contraire. Je serais ravie d'avoir des nouvelles de vous et votre famille. »

Bien entendu, c'était-là aussi l'opportunité de, peut-être, tisser une ou deux alliances. J'avais entendu certaines choses sur le cadet des Woo, et si les rumeurs étaient fondées il serait plus qu'intéressant de l'avoir dans ma poche. Déambulant dans les rues aux côtés de Woo Jie, ma garde et sans doute la sienne à nos talons, je ne pouvais m'empêcher de trouver la scène un brin ridicule.

« Il est amusant de voir un homme prendre les devants, pour une fois. Où m'amenez-vous donc ? »

La jeune femme m’indique qu’elle va bien, ce qui est une bonne chose, elle partage même mon avis sur le Temple. Elle accepte ma proposition de manger dans un restaurant et me demande son emplacement, je lui réponds avec un grand sourire, plutôt fier de moi :

Il s’agit de l’Hirondelle, un établissement qui sert une très bonne cuisine. Je tiens à m’excuser si je me suis montré directif, je ne voulais pas l’être, je reviens d’expédition et parfois, il me faut un certain temps pour retrouver mes bonnes manières.

C’est cela de voyager beaucoup, car dans notre Empire, ce sont les femmes qui prennent l’initiative mais ce n’est pas le cas partout et comme je suis allé dans des villes portuaires pour livrer une lettre de ma mère à des étrangers, j’ai été pris dans une autre culture. Je la laisse donc sortir en première comme le veut l’étiquette et nous rejoignons mes deux gardes du corps et sa garde rapprochée.

Une fois, dehors, il ne nous faut qu’une dizaine de minutes pour rejoindre le bistronomie chic et je la laisse rentrer, à nouveau, en première. Je donne pour consignes à mes hommes de rester devant, mais également de commandé ce qui leurs plaira, car ce sont plus que des employés pour moi, ils me sont restés fidèles durant toutes mes aventures et m’ont sauvé bien des fois.

Une fois bien installé, j’attends que mon interlocutrice choisisse sa commande avant de faire de même, tout en lui précisant :

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aimerais vous inviter.

Après tout, c’est ma mère qui paye, puis je lui réponds à sa première question, maintenant que nous sommes à l’abri des regards indiscrets :

Ma famille va fort bien, nous avons même prévu une balade avec mon père ce soir. Comment se porte la vôtre ?

J'avais entendu parler de l'Hirondelle, mais n'y avait jamais mis les pieds. Pour autant, j'étais à peu près certaine que sa clientèle venait presque exclusivement du Haut-Nuwa, étant donné les prix qu'on associait à l'établissement.

Si je n'en faisais pas mention ni ne le laissait paraître, j'appréciais de le voir offrir à ses suivants l'opportunité de manger dans le même restaurant de haut standing que nous autres nobles. C'était rare, et en toute transparence ça ne serait pas le sort réservé à mes deux gardes familiaux, deux femmes aguerries, qui m'accompagnaient aujourd'hui et qui, d'instinct, se campèrent à l'entrée du restaurant sans demander leur soûl, passant leur temps à surveiller les alentours.

« Je n'y vois nul inconvénient, tant que l'offre est innocente », lançais-je en lui souriant, d'un ton juste assez haut pour que les tables des potentiels curieux ne démarrent nulle rumeur. Les commérages allaient bon train, et je n'étais pas prête à subir les répercussions éventuelles.

« Je suis heureuse de l'apprendre. Les Mei se portent bien également, ma mère est toujours fidèle à elle-même : aussi droite et fière que l'Empire. » Je ne parlais volontairement pas de ses quelques faiblesses des semaines passées, les murs ayant des oreilles. « Sans vouloir mettre les deux pieds dans le plat, comment allez-vous, Jie ? », continuais-je, cette fois à voix plus basse et sur le ton de la confidence. « Depuis votre refus, je veux dire. »

Tout se savait, dans le cercle des nobles de l'Empire.

Ma jeune et jolie interlocutrice accepte tout en se permettant une petite pique que j’espère innocente et je lui dis en souriant :

Je ne permettrais jamais de faire une telle chose, vous avez déjà choisi un mari et je sais à quel point la famille Mei a une réputation irréprochable. L’impératrice vous tient en grande estime et c’est ma manière de vous remercier pour être à ses côtés et la soutenir.

Ma grande sœur n’a que peu de gens de son entourage à qui elle fait confiance, mais d’après ce que j’ai compris, la personne qui me fait face en fait partie. Sa remarque sur sa mère m’amuse, car ma propre génitrice est également dans ce cas, mais très vite, on revient à une affaire plus personnelle et j’avoue rester un peu bloqué, pendant une ou deux secondes, ne m’attendant pas du tout à ce genre de question.

Je bois un verre de vin que l’on vient de nous servir pour retrouver un peu de contenance et je lui dis, à voix basse également :

Cela fait maintenant plus de huit mois depuis mon dix-huitième anniversaire, mais ma Mère est une personne remarquable qui n’oublie jamais rien.

C’est le moins que je puis dire, en vérité, j’ai l’impression qu’elle possède une mémoire sans faille, pouvant ressortir les anciens dossiers, même datant d’il y a des lustres. Je continue donc sur le ton de la confidence :

Mais je sais que je n’aurais bientôt plus le choix et que je vais devoir me marier prochainement.

Je mens un peu, car j’ai toujours la possibilité de m’enfuir, mais je ne peux pas l’annoncer à une personne qui est proche du cercle familial. Pour changer de sujet, je lui demande donc :

Votre propre mariage est prévue pour quand ?

« Choisi » un mari était un bien grand mot, mais je pouvais comprendre qu'il l'interprète ainsi. Pour un homme qui avait refusé un mariage arrangé, le choix prenait sans doute priorité sur le devoir. Quant à l'estime supposée de l'impératrice Woo Li me concernant, peu savaient la teneur de nos véritables liens, et sans doute était-il mieux que cela reste ainsi. Comme beaucoup d'autres, j'étais persuadée de n'être qu'un pion utile aux mains de celle qui représentait notre déesse, mais cette dernière savait brouiller les pistes entre manipulation et intérêt, et nous étions deux à savoir jouer à ce jeu. Les gens me considéraient comme l'alliée de l'impératrice, et cela suffisait aux Mei - ME suffisait.

Je l'observais, comprenant par son malaise passager que l'histoire n'était pas totalement terminée. Pour autant je faisais mine de ne pas m'en rendre compte pour mieux l'entendre parler de sa propre mère. Ainsi donc la matriarche Woo était de la même trempe que celle des Mei. J'avais soudain davantage de compassion pour les Woo ... jusqu'à ce qu'il me renvoie une question difficile pour parer la mienne.

« Eh bien ... 2019 ? », hésitais-je en lâchant un rire succint. « Je ne sais pas si vous êtes au fait de la personne que sera mon mari ? C'est une histoire, disons-le clairement, un peu tabou dans certains cercles. »

Si j'avais depuis longtemps fait le deuil de me marier avec un austral, ce n'était pas le cas de bon nombre de nobles que cela froissait encore aujourd'hui.

« Si vous le souhaitez, je peux assouvir votre curiosité. Mais ça n'a rien de glorieux. »

Je suis surpris par sa réponse, car elle me dit qu’elle va se marier en 2019, mais je pense être relativement intelligent, alors pour moi, la date est largement dépassée et je ne sais pas vraiment comment l’interpréter. Est-ce qu’elle est contente de ce rapport, ou simplement amusé, à moins qu’elle y soit complétement indifférente, c’est difficile à dire, toutefois, comme elle me propose d’éclairer ma lanterne, j'allais accepter, mais je suis interrompu par l’arrivé des entrées ; soupe de raviolis aux crevettes, salade de shiitakés vinaigrés et tofu fumé.

Cela semble super bon, et après avoir eu l’accord non-verbal de mon invité, je mange de manière très convenable mon plat, faisant attention de ne pas passer pour un glouton, même si j’ai très faim. Heureusement, le plat est très bon, épicé comme il convient et ce n’est qu’une fois mon assiette vide que je continu notre discussion, en attendant le reste de la nourriture :

J’ai ouï dire que vous étiez promis à un étranger, mais je suis désolé de ne pas y connaître grand-chose, depuis l’acquisition de mon vaisseau volant, je voyage énormément et avant j’accompagnais mon oncle qui est également diplomate.

Et oui, je ne suis guère à la capitale, ce qui vaut mieux vu la relation conflictuelle que j’ai avec ma mère, même si mon père me soutient. Je reprends donc :

Je suis curieux de savoir pourquoi un homme voudrait attendre pour se marier avec une femme possédant à la fois une grande beauté et un charisme certain.

Je dis cela, sans vraiment la flatter, indiquant juste ce que je pense être une vérité.

Je ne perdais pas de temps pour suivre l'initiative de mon convive et attaquer l'entrée qui, à ma grande surprise, dépassait mes attentes.

« Déesse ... », murmurais-je pour moi-même à voix basse, d'appréciation.

« Vous avez bien entendu », répondais-je tout d'abord à sa première phrase, avalant préalablement pour ne pas parler la bouche pleine. « J'aimerais vous dire qu'il s'agit d'un mariage d'amour, mais il n'en est rien : ce mariage avec un Guowai est purement politique. Il était opportun il y a deux ans, mais avec les troubles connus depuis entre nos deux nations nos familles ont dû mettre de côté leurs plans. » Je passais volontairement le passage où le gouvernement Nuwa n'était pas étranger à notre union. Woo Jie n'avait pas nécessairement besoin de le savoir, et les curieux locaux non plus.

A sa flatterie déguisée, je riais discrètement, me cachant la bouche car à moitié pleine.

« Flatteur », lançais-je en reprenant mon souffle. « J'imagine que les canons de beauté ne sont pas les mêmes entre nos deux nations. De plus, je ne fais pas exactement partie des nôtres non plus, mais j'accepte néanmoins le compliment. »

Je posais sur lui un long regard, l'étudiant un moment.

« Je suis heureuse que vous ayez su trouver votre voie, même si j'imagine que tous les Woo ne sont pas de cet avis. Je ne savais pas que vous étiez capitaine de bateau volant, j'imagine que cela vous apporte nombre de liberté. N'en déplaise au père de votre promise », ajoutais-je innocemment. « Il faudra que vous me fassiez visiter. Et peut-être pourrons-nous parler politique loin d'oreilles indiscrètes. »

La jeune femme semble apprécier le repas autant que moi, vu qu’elle mange sans se faire prier, ce qui me convient tout à fait, j’aurais été mortifié si elle avait détesté l’endroit. Je devrais y emmener ma sœur cadette un jour ou l’autre, je suis sûr que ce lieu lui plairait également. Mais je n’ai guère le temps de penser à Hua Li-Na, car mon interlocutrice me réponds qu’il s’agit ou plutôt s’agissait d’un mariage politique qui a été mis en suspens.

J’hésite toujours à savoir si cette conséquence lui fait plaisir ou pas, mais par politesse, je lui simplement :

Je suis désolé que les choses se soient passées ainsi.

Le second sujet est plus plaisant et quand elle m’indique qu’elle est loin d’être aussi belle que je lui dis, je lui indique simplement :

Ce n’était pas de la flatterie, vous savez que vous êtes une personne remarquable, je ne faisais que le souligner. Je pense que la plupart des hommes ici me jalousent de pouvoir ainsi manger à votre table.

Le dernier sujet me fait un peu plaisir, mais je me dois de gentiment tempérer son enthousiasme :

Et tant qu’homme, ma voie est d’élever une famille et c’est bien ce que je compte faire. Comme je vous l’ai dit, ma mère est une personne généreuse, mais ma liberté ne va durer qu’un temps, je le sais bien.

Je lui souris un peu tristement, n’ayant guère envie de m’enfuir, même si j’y serais peut-être un jour obligé et je lui indique content de sa proposition ;

C’est une bonne idée, demain je dois faire un voyage de quelques heures au sud de la capitale pour aller distribuer quelques missives, il y a de la place pour faire vous, quelques gardes et une amie.

Je ne lui précise pas l’utilité de cette dernière, elle est évidente.

Bien qu'il semblait sincère, il m'était difficile de ne voir autre chose que des flatteries, mais soit. Je balayais ses arguments d'un mouvement léger de la main, d'un sourire et d'un roulement des yeux.

« Eh bien, si vous me promettez que ma sécurité est assurée, je ne suis pas contre une petite escapade dans le Sud », concluais-je en finissant mon plat, avant de reprendre à voix basse, sur le ton de la confidence. « Vous savez, il n'est pas impossible qu'il existe des moyens détournés pour ... vous sortir de votre situation. Je ne dis pas cela sera aisé, ni qu'il n'y aura aucun prix à payer, mais avec les bons soutiens aux bons endroits, tout est possible. Surtout pour un Woo. Si vous étiez intéressé, peut-être pourrais-je vous guider sur cette voie. » Après tout, j'étais ambassadrice, et en tant que telle, la politique était loin de m'être étrangère.

Quand Mei Lin met en avant la sûreté de mon navire volant, je prends à cœur de la rassurer :

Le Dragon est un authentique aéronef de la ville marchande de Naporia et non du peuple Silkien, qui sont encore loin d’égaler cet art. Son équipage est également trié sur le volet et nous n’avons eu aucune catastrophe, je peux vous l’assurer.

Bon, on est peut-être passé à une ou deux reprises de la destruction complète de l'appareil, mais le principal est que je sois vivant. Elle me dit ensuite à voix basse une petite confidence et je dois dire que je suis assez curieux, mais je reste toutefois prudent, il peut s’agir d’un piège, je lui réponds donc à voix basse, mais d’un ton neutre :

Je compte rester un fidèle membre de ma famille et accepter sa volonté, mais je suis sûr que nous trouverons d’autres sujets de conversations.

Voilà, comme cela, je me suis protégé et je peux voir que les plats de résistance viennent d’arriver, il s’agit de Tofu Ma Po accompagné de boulette de porcs braisées en sauce, dont la fumée enchante mes papilles, comme j’en ai pris l’habitude, j’attend que mon invité commence avant de faire de même, puis je lui demande :

Avez-vous déjà voyagé en dehors de l’Empire ? Pour le moment, mes trajets ont été par nécessité très limités, mais j’aimerais beaucoup voir d’autres cultures.

Sans doute mon côté explorateur, chose qui peut être mal vue, car je ne suis qu’un homme.

Le Dragon. C'était un nom de bateau approprié pour un Woo. Peut-être pas ce Woo-là, cela dit.

« Je pensais moins à ma sécurité en vol que celle de ma personne. Je ne vous apprendrais pas que les querelles politiques peuvent prendre certaines proportions dérangeantes, et passer de l'oral au physique. » Je faisais par là bien évidemment référence aux différentes tentatives d'assassinat qui, si elles n'étaient pas nécessairement monnaie courante, arrivaient de temps à autre.

Ignorant sa phrase suivante, je répondais sans broncher à sa question. « J'ai eu le loisir de voyager dans les deux autres nations, et découvrir un minimum leur peuple respectifs et leur culture », débutais-je. « Je ne vous cacherais pas qu'ils me sont beaucoup trop peu familiers pour que je me sente à l'aise. Cependant, il m'arrive d'être surprise à apprécier certaines facettes de leur vie. Et pour ne rien vous cacher, il est d'ailleurs prévu que je retourne en fin de mois au Royaume Austral. Qui sait, peut-être pourrions-nous faire la route ensemble ? J'aurais ainsi tout le loisir de goûter à vos flatteries innocentes », ajoutais-je d'un air amusé et espiègle.

Sans vraiment pouvoir me l'expliquer, j'avais laissé naturellement de côté mon mur de froideur habituel pour lui troquer une aise à laquelle j'étais trop peu habituée. Woo Jie était sans doute l'un de ces Nuwa charismatiques desquels il était difficile de se méfier.

Elle m’informe qu’elle craint moins une tentative d’assassinat qu’un accident et je peux facilement la rassurer sur ce point :

Il n’y a pas beaucoup de bateau volant dans l’Empire et la plupart n’ont pas la qualité de mon Dragon, il vient directement de Naporia, et en plus il a encore été modifié depuis pour en faire un bateau unique, un des plus rapides du ciel.

Je suis très fier de mon bâtiment, ainsi que de son équipage, une fois en l’air, je ne crains rien, ni personne. La discussion se poursuit de manière agréable et j’apprends que j’ai en face de moi une grande voyageuse, elle me propose même de l’accompagner et je lui réponds en souriant :

Ce sera avec grand plaisir, je dois même me rendre à la capitale Vigescienne, en passant par les terres australes, puisque je ne peux pas y aller par mon moyen de locomotion habituelle, les tempêtes empêchent tout accès.

C’est un des problèmes avec ce genre de transport, il est très vulnérable aux éléments, je lui propose même :

Je peux vous convoyer jusqu’au Royaume et en échange, vous me raconterez les coutumes de ce peuple avec des coutumes si différentes des nôtres. Qu’en pensez-vous ?

J’attends sa réponse, puis je le demande à voix basse :

Allez-vous retrouver votre futur mari ?

J’imagine bien ce genre de rencontre furtive, prendre des risques insensés pour un seul baiser.

Il n'avait pas compris où je voulais en venir, mais ça n'était pas très grave. Il me suffirait de prendre une ou deux gardes de confiance avec moi pour le voyage, en plus de mes servants.

« Parfait dans ce cas. Ce sera avec plaisir que j'entreprendrais le voyage sur votre navire, cela m'évitera de confisquer celui de ma famille. Et vous aurez tout le loisir de me questionner sur la culture Silkienne. »

Rencontrer mon futur mari ... Il le disait comme s'il s'agissait-là d'une idylle volontaire, digne de ces poèmes que content les papas à leurs enfants pour les inciter à faire plus tard leur devoir familial. Déesse, ce que Woo Jie pouvait paraître innocent par moment ... J'en avais presque oublié qu'il était si jeune. J'avais pouffé de rire, cette fois de manière un peu moqueuse.

« Oui, je vais voir mon futur mari », lançais-je sur le même ton, avant de réhausser la voix. « Pour, surprise : me marier. »

Un détail me chiffonait, cependant : pourquoi devait-il se rendre à Armasdem ? Ce n'était pas exactement l'endroit rêvé pour un Woo, surtout si les bateaux volants étaient exclus. Pour autant, je n'étais pas assez proche pour enquêter davantage, et incertaine que l'information se révélerait intéressante. De peur que la curiosité ne l'emporte, je m'étais empressée de terminer mon plat.

« Pas de dessert pour moi, j'en ai peur. L'entrée était déjà sans doute en trop, mais je suis loin de regretter vous avoir accompagné. J'imagine donc que nous nous retrouverons demain, pour cette fameuse escapade dans le Sud ? »

La jeune femme accepte mon curieux échange, nous partirons donc ensemble en direction du Royaume Austral, heureusement qu’elle ne m’a pas demandé pourquoi je devais ensuite me rendre à la capitale Vigescienne. Je n’aime pas mentir, mais j’aurais été bien obligé, je ne peux pas lui dire, que moi, un adulte de dix-huit ans, continue à faire des courses pour ma mère, en plus cette dernière m’a bien demandé la plus grande discrétion.

En tout cas, ce voyage est une bonne nouvelle pour elle, et avec un peu de chance, je serais invité au mariage alors je lui dis sincèrement :

Je vous renouvelle tous mes vœux de bonheur.

En plus, elle semble être contente, puisqu’elle rit presque, ce qui est un bon signe chez les femmes. Elle doit vraiment beaucoup l’aimer et j’aurais ainsi ma part dans son bonheur en l’emmenant là-bas. Le repas se termine un peu rapidement, puisqu’elle semble avoir des choses à faire et je lui réponds avec un grand sourire :

J’ai également beaucoup apprécié notre discussion, je vais vous raccompagner au-dehors.

C’est en effet ce qu’indique l’étiquette, et je m’incline même, car un homme reste toujours en retrait par rapport à une femme, tout en lui précisant :

C’est bien cela, je vous dis à demain.

Je ne lui précise pas de prendre des vêtements chauds, si sa famille possède un bateau volant, elle doit savoir ce genre de chose. Pour ma part, une fois que mon invité est parti, je paye et prends en plus des Lucha fobing pour tous mon équipage, car je suis certain que cela leurs fera plaisir.